L’Universalité du monothéisme abrahamique

Shaykh Abd al-Wahid Pallavicini

28-02-2013

Pour me référer aux Prophètes communs aux trois Révélations que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, nous devons avant tout noter que leur identité n’est pas différente : chaque Prophète est unique et le même pour tous, ce qui change en réalité, c’est l’interprétation qu’on en donne selon les expressions théologiques de telle ou telle Révélation.

Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne les premiers prophètes : Adam est le premier Homme et, en islam, également le premier Prophète ; Abraham est le Patriarche du monothéisme qui en tire son nom ; Moïse est le Prophète biblique qui a sauvé le peuple juif de la prison du Pharaon et l’a conduit au seuil de la « Terre promise ».

Tout change, en revanche, quand il s’agit de Jésus ou de Muhammad, dans la mesure où, pour les juifs, Jésus est un rabbi qui a apporté une innovation dans le texte biblique, tandis que, pour l’islam, Jésus est Esprit de Dieu, Prophète attendu à la fin des temps après l’avènement du dernier des Prophètes, Muhammad. Les prétendues différences se retrouvent en effet seulement entre les interprétations théologiques propres à chaque Révélation, tandis que, pour ce qui concerne le Principe absolu, il y a là aussi identité dans l’affirmation de l’unicité de Dieu propre aux trois Révélations de ce que l’on appelle à juste titre le monothéisme abrahamique.

« Monothéisme » devrait être synonyme de « universalisme », s’il est vrai que ce dernier terme nous ramène à la conception de cette Unicité de Dieu, déjà contenue dans l’expression « monothéisme », et traduite à nouveau dans cet « universalisme », ou « universalité » qui se tourne « vers l’Un », l’Unique Dieu d’Abraham.

L’islam, donc, n’est pas la troisième Révélation du monothéisme abrahamique, et ce même monothéisme abrahamique ne remonte pas à Abraham, mais il a toujours été tel, c’est-à-dire « monothéiste », même avant lui, car Dieu n’a jamais cessé d’être « Un », pour tous les hommes de la terre, ou au moins pour ceux qui veulent accepter de Lui être soumis.

Pour le reste, si le judaïsme est le seul à se référer à la signification originelle du monothéisme d’Abraham, le christianisme, sans renoncer à la conception unitaire de Dieu, l’inscrit dans le credo de la Trinité, que le judaïsme ne peut reconnaître ; et l’islam ajoute, dans son témoignage de foi qui affirme qu’il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu, l’affirmation que « Muhammad est Son envoyé », chose en laquelle ni les juifs ni les chrétiens ne veulent croire.

Cette incapacité à reconnaître l’universalité du monothéisme abrahamique dans la diversité de ses expressions religieuses pourrait s’expliquer par le fait que l’on considère à tort les religions successives uniquement comme de nouvelles émanations de la religion précédente, ou parce que les religions précédentes sont considérées seulement en fonction de la dernière religion, ou encore, parce que la précédente et la suivante sont toutes deux considérées comme des « semences du Verbe » qui fleuriront éventuellement grâce à l’acceptation des dogmes théologiques du christianisme.

À l’opposé, l’interprétation exclusiviste présuppose qu’une religion est la seule à exprimer la vérité absolue, et réfute donc la conception métaphysique selon laquelle Dieu S’est révélé en des temps, des lieux et des modes différents, en offrant non pas une vérité « partielle », mais une vérité relative, dans le sens d’« inhérente » à un peuple élu, à une femme élue, ou à un homme élu. C’est la différence entre ces « élections » qui trace les limites entre les trois Révélations du monothéisme abrahamique. Ces élections sont nécessaires pour révéler à chaque communauté la Parole de Dieu, qui Se manifeste sous la forme de « Lois » pour les juifs, d’« Homme » pour les chrétiens, et de « Livre », dans le sens d’Écriture divine, pour les musulmans.

Ce ne sont pas, en effet, les doctrines religieuses qui nient la succession des Révélations, mais ce sont seulement les hommes qui n’ont pas su accepter ni leur propre religion ni les religions successives, bien que les signes annonçant ces dernières soient contenus sous forme de prophéties dans leurs propres livres sacrés. Les Révélations sont ainsi confirmées dans la plénitude de leur Vérité originelle, cette Vérité que les hommes oublient inéluctablement dans la mesure où ils détournent leur regard du ciel pour retourner contre l’Esprit la « lettre qui tue ». En effet, la tradition biblique annonce l’avènement du Messie, mais ce sont les juifs qui n’ont pas su le reconnaître, de même que les Évangiles nous parlent de la venue du Paraclet, mais ce sont les chrétiens qui ne veulent pas admettre qu’il puisse y avoir une Révélation postérieure à la leur, ni que d’autres, même si elles sont précédentes, puissent encore être tout autant valides pour offrir à leurs fidèles la plénitude de la manifestation du Verbe.

Il est du reste providentiel qu’il en soit ainsi : si tous les juifs avaient reconnu en Jésus le Messie — comme certains juifs, en effet, l’ont fait — ou si tous les chrétiens avaient suivi le Prophète Muhammad — comme ce fut le cas pour certains d’entre eux à cette époque —, alors il n’y aurait eu ni christianisme ni islam, dans le sens de deux religions distinctes, mais c’est la communauté primordiale « abrahamique » qui aurait continué à se manifester. C’est toutefois à cette communauté primordiale que nous devons tous aujourd’hui nous référer, tout en maintenant nos identités confessionnelles et la pratique religieuse qui en est la conséquence, seule garantie de salut, mais dans la foi en l’Unicité de Dieu.

Pour revenir à l’histoire sacrée, nous savons qu’Isaac et Ismaël, les deux souches qui, par leurs mères respectives, Sarah l’Hébreu et Agar l’Arabe, sont à l’origine des lignées qui verront naître Jésus parmi les Israélites, et Muhammad parmi ceux qui sont considérés comme les « Purs », les hunafâ’ ; or, Ismaël et Isaac sont tous deux fils du même père Abraham, Patriarche et rénovateur du culte monothéiste. Si les juifs soutiennent que c’est Isaac le fils qu’Abraham devait sacrifier, tandis que les musulmans croient que c’est Ismaël qui fut épargné, c’est néanmoins toujours à travers le même Ange Gabriel que Dieu a voulu arrêter la main d’Abraham prêt à accepter Sa volonté.

C’est encore le même Gabriel qui annonce à la Vierge Marie la naissance de Jésus, et qui « contraint » — telle est la signification du nom de l’Ange — même physiquement, en lui serrant la poitrine, le Prophète Muhammad, vierge intellectuellement, à transmettre les versets du Livre sacré des musulmans, le Coran.

Dans cette perspective, le terme «révélé» ne traduit pas seulement l’idée d’un « dévoilement », mais également celle d’un nouveau « voilement », comme lorsque Moïse, après son colloque avec Dieu à travers le buisson ardent, dut se couvrir le visage avec un voile pour masquer, pour « relativiser » la Lumière de cette Vérité absolue que le peuple n’aurait pu supporter si elle n’avait été justement « re-voilée ». Ainsi, si les vérités révélées sont relatives par rapport au centre de la croix spatio-temporelle où nous nous situons, elles constituent néanmoins les voiles nécessaires, ou mieux, les dévoilements de cette Vérité absolue qui est Dieu Lui-même.

Pour autant, si les formes traditionnelles religieuses ne peuvent être comparées les unes aux autres, tout comme est irréalisable le souhait d’une prière commune qui les rassemblerait toutes, de même il est difficile pour un croyant, attaché à l’identité de sa propre confession, d’accepter la vérité d’une théologie et l’efficacité d’une pratique rituelle qui sont différentes de la sienne.

Il s’agit donc de ne pas prétendre que cette autre confession soit entendue dans sa formulation doctrinale ou dans sa ritualité, mais, comme nous l’avons dit depuis le début, il est nécessaire de savoir en reconnaître la validité salvatrice, en ayant la certitude de la Toute-Puissance divine et de l’inaltérabilité des moyens offerts par Dieu qui donne « à chacun le sien », selon les différents aspects de l’exigence originelle, celle-là même qui constitue l’ontologie humaine dans la recherche du Divin, celle de l’homme fait « selon Sa forme ».

Naturellement, certains événements historiques peuvent ne pas coïncider avec ceux qui sont prévus par d’autres théologies, mais le « Logos » qui les a générées est Dieu Lui-même qui est au-dessus de l’histoire, c’est-à-dire « méta-historique » comme il est « métaphysique ». C’est le « point de vue divin » au-dessus de toute logique, même théologique, dans laquelle il s’est manifesté selon le temps et l’espace qui, pour paraphraser René Guénon, représentent ensemble les dimensions du symbolisme de la Croix.

Pour nous référer à ce même symbolisme, nous voudrions considérer la forme de la croix orthodoxe, laquelle comporte non pas deux mais trois dimensions, ajoutant ainsi aux dimensions de la longueur et de la largeur, celle de la hauteur, ou mieux de la profondeur. Ce symbolisme crucial non seulement représente la vérité présente en chaque révélation, mais rappelle aussi cette Pax profunda, ou « Grande Paix », qu’un « saint soufi du XXe siècle » souhaitait pour celui qui voudrait encore, en ces derniers temps, pénétrer le sens de la « triple dimension » qui est présente dans l’universalité du monothéisme abrahamique.

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