Muhammad et les chrétiens

Abd-al-Qayyoum Guerre-Genton

10-03-2010

Le Coran cite de nombreux prophètes, depuis Adam le premier d’entre eux, jusqu’à Muhammad le sceau de la prophétie (‘alayhimu-s-salâm). Si le livre sacré de l’islam récapitule et confirme ainsi les messages divins précédents qui sont tous considérés comme des révélations islamiques, Jésus tient, parmi les messagers, une place toute particulière.

Jésus fils de Marie (‘Isâ ibn Maryam) est, pour l’islam, « parole de Dieu » et « esprit de Dieu ». Il accomplit des miracles en guérissant l’aveugle et le lépreux, ressuscite les morts et, par son souffle, donne la vie à l’oiseau fait de glaise, « avec la permission de Dieu ». Jean le Baptiste (Yahyâ) et les apôtres sont également présents dans le Coran aux côtés de Jésus et de Marie.

Cependant, les fonctions symboliques de Jésus et de Marie sont différentes dans l’islam et le christianisme, bien qu’il s’agisse effectivement des mêmes personnes que Dieu a envoyées pour accomplir Sa volonté. Il y a là un mystère face auquel nombreux sont ceux, tant du côté chrétien que du côté musulman, qui ont été tentés de procéder à des analyses mentales pour expliquer et commenter ce que Dieu a voulu tenir caché. Ainsi, à la description de certains chrétiens face à une figure coranique de Jésus si éloignée des dogmes de l’Église, s’oppose en effet miroir, « l’argumentation rationnelle » de certains musulmans autour de la figure évangélique de Jésus et des incohérences de ces mêmes dogmes.

Si le Coran confirme les révélations précédentes et trace la ligne de démarcation entre le christianisme et l’islam, il donne également les indications nécessaires pour que chacun puisse suivre l’itinéraire spirituel défini par sa religion sans s’égarer dans les analyses psychologiques et individuelles inutiles, voire diaboliques.

Appelle donc à cela. Cherche la rectitude comme il a été commandé ; ne suis pas leurs passions, et dis : « Je crois en tout ce que Dieu a fait descendre comme Livre, et il m’a été commandé d’être équitable entre vous. Dieu est notre Seigneur et votre Seigneur. À nous nos œuvres et à vous les vôtres. Dieu nous rassemblera tous. Vers lui est le devenir. »1

À travers le Coran, Dieu appelle les chrétiens et les musulmans à la pratique orthodoxe de leurs rites respectifs, sans syncrétisme et sans faiblesse. Il invite chaque homme et chaque femme à approfondir sa foi, et à acquérir la connaissance véritable, qui n’est pas érudition, accumulation de données scientifiques, historiques ou littéraires, mais qui est donnée par la transformation de l’être grâce à la pratique rituelle et à la sacralisation des actes de la vie quotidienne.

Nous avons fait descendre vers toi le Livre avec la vérité, confirmant les Écritures précédentes et les protégeant. Juge donc parmi eux d’après ce que Dieu a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t’est venue. À chacun de vous, Nous avons assigné une Loi et une Voie. Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. Rivalisez entre vous dans les bonnes actions. Votre retour à tous se fera vers Dieu. C’est alors qu’Il vous informera de ce en quoi vous divergez.2

Pour les musulmans, le Coran, parole de Dieu, est vérifié par l’exemple du prophète Muhammad dont la vie tout entière est porteuse d’un enseignement inséparable de la révélation coranique. Les actes, les paroles, et même les silences du Prophète sont un commentaire vivant du Livre de Dieu. Le Prophète vivait véritablement au rythme de la révélation, incarnant extérieurement et intérieurement le Coran, si bien que son épouse Aïsha a pu dire à son sujet que « son caractère était le Coran ». C’est dans cette perspective symbolique que les « circonstances de la révélation » (asbâb an-nuzûl) doivent être envisagées, pour comprendre le lien qui existe entre la vie du Prophète et le Livre de Dieu. La Parole divine a été gravée dans le cœur du Prophète pour être portée et transmise par lui, comme un miroir reflétant l’image qu’il reçoit.

Le Coran semble transmettre à son tour quelque chose du Messager de Dieu, par le reflet mystérieux qu’il donne de la vie du Prophète en vertu de cette transparence qui rendait le prophète semblable au Coran, et grâce à laquelle il est un « modèle excellent pour celui qui espère en Dieu et dans le jour dernier, et se souvient beaucoup de Dieu » suivant les mots du Coran lui-même. L’exemple prophétique est d’abord suivi par les disciples de Muhammad, c’est-à-dire les musulmans au sens strict du terme, qui doivent le réaliser sous tous ses aspects, non seulement les aspects rituels mais aussi ceux qui touchent au « caractère magnifique » (khuluq ‘azhîm) dont la Prophète faisait preuve en toutes circonstances, à l’image du Coran, qualifié lui aussi de « magnifique ». Ce modèle prophétique, qui fait partie intégrante du message coranique, est également dirigé vers les croyants issus des religions juive et chrétienne, car le prophète a été envoyé « comme une miséricorde pour les mondes ».

La vie du messager de l’islam représente pour tous les musulmans un rappel à la réalité sacrée qui réunit ce monde à l’Autre monde, manifestant par son exemple vécu l’harmonie d’un comportement et d’une action destinés à exprimer les correspondances naturelles entre la transcendance et l’immanence de Dieu. Dans cette perspective, la vie de Muhammad, comme celle de tous les autres prophètes, exprime l’ensemble des enseignements, nécessaires à la discipline de l’âme dans son chemin de purification, qui permettent à chaque croyant sincère de parvenir au salut, et de réaliser inshâ’a-Llâh la sainteté.

Chaque fois que les savants des diverses religions ont eu la possibilité de se rencontrer au cours de l’histoire, les fruits de leurs échanges intellectuels et de leurs activités fraternelles ont toujours manifesté le miracle d’une syntonie spirituelle particulière, surtout lorsque les qualités divines présentes dans l’expression des doctrines respectives étaient reconnues, même sous des formes diverses, selon les modèles prophétiques de référence.

Certains maîtres ont voulu ainsi réaffirmer la providentielle unité de la révélation divine qui se renouvelle cycliquement dans chaque message et messager que Dieu envoie pour le bénéfice des hommes et du reste de Sa création. En remède à l’erreur d’un syncrétisme abstrait, ces mêmes maîtres ont voulu souligner la valeur spirituelle de ces messages et de ces messagers, mettant en évidence la dimension universelle du bienfait divin qui, au moment de sa descente, a permit la réorientation traditionnelle de certains peuples en une nouvelle forme religieuse, mais a aussi transmis un bénéfice spirituel à tous les autres peuples qui, dans ce même temps, appartenaient, et ont continué d’appartenir, à d’autres formes confessionnelles.

Il ne s’agit donc jamais de promouvoir l’adhésion forcée à une forme religieuse particulière qui serait conçue de manière erronée comme la seule pour tous les êtres humains sur la base d’une indignité présumée des autres formes confessionnelles, mais, bien au contraire, de reconnaître le même Esprit divin qui ne cesse jamais de rénover Sa présence dans le cœur de Ses fidèles serviteurs. L’erreur de ceux qui, pour affirmer une supériorité présumée de leur foi sur celle des autres, tentent de réduire l’accès au bénéfice de la Providence exclusivement à leur propre forme religieuse apparaît ainsi évidente.

L’étude des textes sacrés et de la vie des différents envoyés de Dieu, pour avoir une utilité qui ne soit pas seulement culturelle mais surtout religieuse, doit être entreprise à partir de la reconnaissance d’une irruption particulière de l’Esprit de Dieu dans un temps et dans un lieu déterminés. De cette manière, on comprend facilement que la Providence divine, outre le fait de produire le bénéfice incommensurable de nouvelles voies de salut et de connaissance, participe d’un ordre de réalité qui est naturellement éternel et universel, et qui ne peut donc être limité exclusivement à des formes spécifiques, même celles comme l’histoire ou la géographie sacrées, ni encore moins être analysées sur des bases sociales ou psychologiques. Cette compréhension préalable peut aider plutôt à reconnaître l’Universel dans le Particulier, l’Absolu dans le Relatif, le Transcendant dans l’Immanent, pour apprendre en conséquence à saisir dans les doctrines, dans les prophètes et dans les religions, la valeur symbolique du chemin de retour à Dieu, que chaque homme doit pratiquer.
 C’est ce qui apparaît clairement à travers quelques épisodes de la vie du Prophète Muhammad avec les chrétiens de son temps. Le premier épisode sur lequel nous voudrions nous arrêter ne concerne pas une relation vécue directement par le Prophète avec les chrétiens, même si c’est lui qui en personne le suscita, en envoyant jusqu’en Abyssinie plusieurs de ses premiers compagnons, dans ce qui est appelé la première hijra, l’émigration de la première communauté islamique depuis la cité de La Mecque, où les musulmans faisaient l’objet de persécutions féroces. Le Prophète leur dit alors : « Si vous alliez au pays des Abyssins, vous y trouveriez un roi sous la tutelle de qui personne ne subit d’injustice. C’est un pays de sincérité dans la religion. Vous y resteriez jusqu’à ce que Dieu vous délivre de ce dont vous souffrez actuellement. »

Les compagnons du Prophète se rendirent donc en Abyssinie. Voici ce que la sîra nabawiyya rapporte à propos de ce séjour :


Les émigrants furent bien reçus en Abyssinie et on leur accorda une complète liberté de culte. Sans compter les petits enfants qu’ils avaient emmenés avec eux, ils étaient environ quatre-vingts qui, du reste, n’étaient pas partis tous en même temps. Leur fuite avait été préparée en secret et elle s’effectua discrètement, par petits groupes. Leurs familles, en effet, n’auraient pas toléré un tel exode et elles auraient eu le pouvoir de s’y opposer si elles avaient connu le projet ; mais ce départ était totalement inattendu et personne ne se rendit compte de ce qui s’était passé avant que tous les croyants eussent atteint leur destination. Les chefs des Quraysh n’en étaient pas moins déterminés à ne pas laisser en paix leurs compatriotes et à ne pas leur permettre d’établir là-bas, loin de tout contrôle, une communauté qui risquerait de devenir dangereuse et de s’agrandir si elle était rejointe par de nouveaux convertis.

Ils conçurent rapidement un plan et se mirent à réunir de nombreux présents, choisis parmi les objets que les Abyssins avaient la réputation de tenir en haute valeur. Comme ceux-ci appréciaient particulièrement la maroquinerie, on rassembla des peaux finement tannées en nombre assez grand pour pouvoir s’attirer les faveurs de chacun des généraux du négus. Des cadeaux de prix furent réservés pour le négus lui-même. Après quoi on procéda avec soin au choix de deux ambassadeurs. Les Quraysh leur donnèrent des instructions précises sur la conduite à suivre : ils devaient aborder chacun des généraux séparément, leur remettre le présent qui leur était destiné et leur adresser ce message : « Quelques jeunes écervelés, hommes et femmes, ont quitté notre peuple et se sont réfugiés dans ce royaume. Ils ont abandonné leur religion, non pour adopter la vôtre, mais pour une autre qu’ils ont inventée, qui est inconnue de nous comme de vous. Les nobles de leur peuple nous ont dépêchés auprès de votre roi afin qu’il les renvoie chez eux. Aussi, quand nous lui parlerons d’eux, conseillez-lui de les remettre entre nos mains sans s’entretenir avec eux, car leur propre peuple sait mieux à quoi s’en tenir à leur sujet. »

Tous les généraux furent d’accord et les deux Qurayshites allèrent porter leurs présents au négus en demandant qu’on leur remette les émigrants, exposant leurs motifs comme ils l’avaient fait vis-à-vis des généraux et concluant leur discours par ces mots : « Les nobles de leur peuple, qui sont leurs pères, leurs oncles et leurs proches parents, te prient de les leur restituer. » Les généraux étaient présents à l’audience et, d’une voix unanime, ils prièrent instamment le négus de remettre les réfugiés entre les mains de ceux qui le lui demandaient, puisque aussi bien les proches parents sont les meilleurs juges dans les affaires familiales. Le négus, cependant, était contrarié et déclara : « Non, par Dieu, ils ne seront pas trahis, ces gens qui ont cherché ma protection, ont fait de mon pays leur demeure et m’ont choisi parmi tous les autres ! Je ne les abandonnerai pas tant que je ne les aurai pas fait comparaître et interrogé sur ce que ces hommes ont dit à leur sujet. S’il en est vraiment comme ils ont dit, je les remettrai entre leurs mains pour qu’ils les rendent à leur peuple. Dans le cas contraire, je resterai leur protecteur et bienfaiteur aussi longtemps qu’ils demanderont ma protection. »

Sur ce, le négus fit mander les compagnons du Prophète et convoqua en assemblée ses évêques. Ceux-ci apportèrent avec eux leurs livres sacrés et, les ayant ouverts, ils les disposèrent autour du trône royal. Les émissaires avaient espéré éviter cette entrevue entre le négus et les réfugiés, entrevue qui, plus encore qu’ils ne le pressentaient, allait tourner à leur désavantage. Ce qu’ils ne savaient pas, en effet, c’est que les Abyssins les toléraient pour des raisons commerciales et politiques mais désapprouvaient leur paganisme et ne se sentaient aucunement en affinité avec eux. Pour leur part, ils étaient chrétiens et beaucoup d’entre eux étaient très pieux ; ils avaient été baptisés, ils adoraient le Dieu unique et ils portaient dans leur chair le sacrement de l’Eucharistie. Ils étaient par conséquent sensibles à la différence entre le sacré et le profane, ressentant avec acuité la mondanité des Quraysh. Ils n’en furent que plus sensibles — et le négus plus qu’aucun autre — à l’impression de sincérité et de profondeur spirituelle qui se dégageait du groupe des croyants lorsqu’il pénétra dans la salle du trône. À cet instant, un murmure d’admiration s’éleva parmi les évêques et les autres assistants qui, spontanément, reconnurent dans les nouveaux arrivants des hommes et des femmes plus proches d’eux-mêmes que tous les Quraysh qu’ils avaient rencontrés jusqu’alors. En outre, la plupart étaient jeunes et, chez beaucoup d’entre eux, une attitude qui laissait transparaître la piété s’alliait à une grande beauté naturelle.

Lorsqu’ils furent tous rassemblés, le négus leur adressa ces paroles : « Quelle est cette religion qui vous a amené à vous séparer de votre peuple, bien que vous n’ayez pas adopté ma religion ni celle d’aucun des peuples qui nous entourent ? » À quoi Ja‘far, le porte-parole des réfugiés, répondit : «  roi, nous étions un peuple plongé dans l’ignorance, qui adorait les idoles, mangeaient de la charogne non sacrifiée, commettait des abominations, chez qui le fort dévorait le faible. Tels nous étions jusqu’à ce que Dieu nous envoie un Messager issu d’entre nos rangs dont nous connaissions le lignage, la véracité, la fiabilité et l’intégrité. Il nous a appelés à nous tourner vers Dieu, à attester Son unité, à L’adorer et à renoncer aux pierres et aux idoles que nous et nos pères avions adorées ; il nous a ordonné de dire la vérité, de tenir nos promesses, de respecter les liens de la parenté et les droits de nos voisins, et de nous abstenir de commettre des crimes et de verser le sang. Aussi adorons-nous Dieu seul, sans rien Lui associer, en tenant pour interdit ce qu’Il a interdit et pour licite de que Lui-même a rendu licite. C’est pour ces raisons que nos gens se sont tournés contre nous, qu’ils nous ont persécutés pour nous faire renier notre religion et revenir de l’adoration de Dieu à celle des idoles. Voilà pourquoi nous sommes venus dans ton pays, t’ayant préféré à tous les autres ; nous avons été heureux sous ta protection et nous avons l’espoir, ô roi, qu’ici, avec toi, il ne nous sera pas porté tort. »Les interprètes royaux traduisent tout ce qui venait d’être dit. Puis le négus demanda s’ils possédaient des extraits de la Révélation que leur Prophète leur avait apportée de la part de Dieu. Ja‘far ayant répondu par l’affirmative, le négus lui demanda de réciter quelques passages. Ja‘far s’exécuta en récitant plusieurs versets de la sourate de Marie, qui avait été révélée peu de temps avant leur départ :

« Et mentionne Marie dans le Livre, lorsqu’elle quitta sa famille et se retira en un lieu vers l’orient, plaçant un voile entre elle et les siens. Nous lui envoyâmes Notre Esprit qui se présenta devant elle sous la forme d’un homme parfait. Elle dit : ‘Je prends refuge contre toi auprès du Miséricordieux, si tu as quelque piété.’ Il dit : ‘Je ne suis que l’envoyé de ton Seigneur, afin de t’apporter un fils très pur.’ Elle dit : ‘Comment aurais-je un fils alors qu’aucun homme ne m’a touchée et que je ne suis pas une femme perdue ?’ Il dit : ‘C’est ainsi ; ton Seigneur a dit : Cela M’est facile. Nous ferons de lui un signe pour les hommes et une miséricorde venue de Nous. Et c’est là un décret irrévocable.’ »

En entendant réciter ces versets, le négus pleura, de même que ses évêques, et tous pleurèrent de nouveau lorsqu’on leur traduisit le passage. « En vérité, dit le négus, cela vient de la même source que ce qu’a apporté Jésus. » Puis il se tourna vers les deux émissaires des Quraysh et leur dit : « Vous pouvez vous retirer car, par Dieu, je ne vous les livrerai pas et ils ne seront pas trahis. »3

Les savants musulmans interprètent la double commotion du Négus comme étant provoquée, d’abord par la reconnaissance de l’affinité spirituelle avec la nature de la « source » divine, ensuite par la descente et la compréhension, sur un plan rationnel et sentimental, de la réalité divine dans sa nouvelle manifestation.

Ce que les chrétiens et les musulmans pieux partagent dans cette première expérience significative d’une rencontre fraternelle, c’est véritablement une affinité, une syntonie dans l’essence de la « piété religieuse », la reconnaissance de cette « sincérité et profondeur spirituelle », de cette conscience de la « différence entre le sacré et le profane » qui les unit dans une recherche commune de protection contre les persécutions du paganisme et les suggestions de la mondanité athée. Une autre expérience tout aussi significative que nous voudrions commenter brièvement ici est celle qui concerne la rencontre entre le Prophète Muhammad et une délégation de chrétiens de Najrân. Le Prophète envoya aux chrétiens de Najrân une lettre dans laquelle il était écrit :

Au Nom du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, de la part de Muhammad le Prophète, l’Envoyé de Dieu, à l’attention de l’évêque de Najrân et du peuple de Najrân : Soumets-toi ! Je loue pour vous le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Je vous appelle à l’adoration de Dieu, plutôt qu’à l’adoration des créatures. Je vous appelle à la protection de Dieu plutôt qu’à la protection des créatures. Si vous refusez, vous serez redevables d’un tribut. Si vous le refusez, je vous déclarerai la guerre. Paix.

L’évêque de Najrân délégua alors une soixantaine d’hommes qui prirent la direction de Médine, afin de passer un pacte avec la Prophète. Arrivés là-bas, ils quittèrent leurs habits de voyage et se vêtirent de parures ornées de soie et mirent des bagues en or. Ils rencontrèrent ainsi le Prophète, et le saluèrent. Mais il ne leur rendit pas leur salut, ni ne leur adressa la parole de toute la journée. Lorsqu’ils demandèrent à certains compagnons du Prophète la raison de son attitude, ‘Alî leur conseilla d’enlever leurs apparats et de remettre leurs vêtements de voyage, puis de retourner voir le Prophète. Ils firent ainsi et saluèrent de nouveau le Prophète, qui leur rendit le salut et dit : « Par Celui qui m’a envoyé avec la vérité, ils sont venus à moi la première fois et Iblîs était avec eux. » Le Prophète les interrogea ensuite, et ils l’interrogèrent également. Lorsqu’ils lui demandèrent ce qu’il disait à propos de Jésus, le Prophète répondit : « Aujourd’hui, je n’ai rien à dire à son propos. Restez ici jusqu’à ce que je vous informe de ce que mon Seigneur dit à propos de Jésus. » Peu de temps après, les versets suivants de la sourate III furent révélés :

Pour Dieu, Jésus est semblable à Adam qu’Il créa de poussière, puis Il lui dit : « Sois ! » et il fut. La vérité vient de ton Seigneur. Ne sois donc pas de ceux qui doute. À ceux qui te contredisent à son propos, maintenant que tu en es bien informé, tu n’as qu’à dire : « Venez, appelons nos fils et les vôtres, nos femmes et les vôtres, nous-mêmes et vous-mêmes, puis proférons exécration réciproque en appelant la malédiction de Dieu sur les menteurs. »

Comme nous pouvons le noter, Dieu révèle dans le Saint Coran que « pour Dieu, Jésus est semblable à Adam ». Jésus, comme Adam, participe de manière directe au même ordre de Vérité qui est à l’origine de la création, et surtout, comme Adam, Jésus exprime dans son existence la synthèse de tout l’univers comme manifestation pure et symbolique de l’unité de Dieu dans sa multiplicité.

En effet, si le prophète Adam incarne, en sa qualité de premier homme fait à l’image de Dieu, la fonction de premier « vicaire de Dieu sur la terre », et si la pureté originelle d’Adam, avant qu’il ne soit chassé du Paradis, est l’exemple le plus complet de perfection de la création de Dieu, Jésus lui aussi synthétise cette perfection et cette pureté avant même de venir au monde, quand Dieu décrète d’envoyer, dans le réceptacle pur de Maryam, l’expression de Son verbe parfait, la manifestation de Son ordre universel, sous la forme symbolique d’un homme.4


Il semble important de retenir de ce dialogue entre le Prophète Muhammad et la délégation des chrétiens de Najrân, la centralité d’une réflexion basée sur la nature spirituelle de la figure christique par laquelle peut se réaliser, dans l’attente commune de sa seconde venue, la réunion prédite entre « nos fils et vos fils, nos femmes et vos femmes, nous-mêmes et vous-mêmes ». Il s’agit donc, en paraphrasant encore la rencontre de Médine, de sceller un pacte qui a comme finalité le bénéfice d’un soutien fraternel entre les chrétiens et les musulmans qui savent travailler et voyager ensemble, concrètement et sans cérémonie, pour réaliser la Paix de l’Esprit, en pratiquant, chacun selon ses lois sacrées, l’adoration de Dieu et non celle des créatures. C’est seulement de cette manière qu’il sera possible de renouveler la louange au Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, et d’empêcher Iblis de s’infiltrer entre les croyants.


L’ultime référence choisie parmi les épisodes de la vie de Muhammad avec les chrétiens survient peu de temps après le départ de la délégation des chrétiens de Najrân. Il s’agit de la triste disparition du dernier fils du Prophète, qui a été appelé Ibrâhîm, Abraham, fils de Mâriya, la femme chrétienne du messager
de l’islam.
Le nom de l’enfant fait référence au salut que l’ange Gabriel envoya au Prophète au moment de la naissance de son fils en l’appelant : « Ô père d’Ibrâhîm ! » Parallèlement, lorsque le Prophète a annoncé la naissance de son fils, dans la mosquée, après la prière de l’aube, se retournant vers ses compagnons, il dit : « Je l’ai appelé avec le nom de mon père : Ibrâhîm », même si, comme nous le savons, le nom du père de Muhammad était ‘Abd Allâh, qui signifie « serviteur de Dieu ».


Cette dernière correspondance symbolique entre la paternité génétique d’un « serviteur de Dieu » et celle d’un prophète comme Ibrâhîm auquel se réfère une paternité spirituelle est très significative, dans le sens d’une pleine reconnaissance d’une succession prophétique qui, de Muhammad, remonte en effet, à travers Ismaël, à tous les autres « serviteurs de Dieu », jusqu’à Abraham, patriarche du monothéisme et, selon le Saint Coran, « ami intime de Dieu » (khalîl Allâh).
Dans cette perspective, le fait que Ibrâhîm soit le nom donné au dernier fils du Prophète, le seul qu’il ait eu avec son épouse chrétienne bien aimée, est également révélateur, car il manifeste ainsi, dans la continuité de la tradition et de la future descendance, l’unité du message divin.


C’est cette même unité du message que doivent redécouvrir les chrétiens et les musulmans d’aujourd’hui, en prenant appui sur l’aspiration commune, exprimée par la délégation musulmane en Abyssinie et par celle chrétienne de Najrân à Médine, à une cohabitation pacifique qui sache garantir les bases nécessaires pour le respect de la pratique de leur propre foi.
La même unité a permis au messager de l’islam et à son épouse chrétienne de s’aimer, comme exemple d’une complémentarité spirituelle qui trouve dans la naissance d’un fils appelé Ibrâhîm le fruit béni d’une authentique famille traditionnelle.


Les chrétiens et les musulmans peuvent reconnaître cette unité dans la figure de Marie, dont l’évocation coranique ouvrit le cœur du Négus et des généraux encore sensibles à son sublime exemple de dévotion. La même dévotion rapproche Marie et Muhammad dans leur fonction commune de réceptacle pur du Verbe de Dieu.
C’est seulement en retrouvant cette unité qu’il sera possible de se préparer ensemble pour l’eschatologie finale qui réunit les chrétiens et les musulmans dans leur attente commune de la figure du Messie qui, toujours selon les doctrines respectives, coïncide avec la seconde venue de Jésus.


En conclusion, voici comment le Prophète Muhammad décrit le retour de Jésus : « Quand Jésus (sur lui la paix) descendra, il saura, par ordre de Dieu qui le lui avait déjà dit au ciel avant son retour, tout ce qui lui sera nécessaire de savoir au regard de cette loi, afin de pouvoir juger entre les hommes. Les croyants se réuniront autour de lui et le proclameront comme leur juge, car il n’y aura alors personne de plus qualifié que lui [...] Jésus (sur lui la paix) avancera, accompagné seulement des justes, et les anges, de droite et de gauche, le recevront, et leur indiqueront la route du Paradis. Jésus (sur lui la paix) arrivera auprès de son Seigneur ; un trône sera prêt pour lui du côté opposé. »


  1. Cor. 42 : 15.

  2. Cor. 5 : 48.

  3. Martin Lings, La vie du Prophète Muhammad. Sa vie d’après les sources les plus anciennes, chap. XXVII, éd. Le Seuil, Paris.

  4. Yahya Sergio Yahe Pallavicini, « Le verbe de Dieu à travers le Saint Coran et la figure de Jésus », Les Cahiers de l’IHEI, N°11.

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