Une Parole commune entre nous et vous

Yahya Pallavicini

09-02-2013

Une tradition prophétique dans laquelle Dieu parle à la première personne dit : « J’étais un trésor caché, j’ai voulu être connu et j’ai créé le monde. » Dieu, selon cette tradition islamique, nous parle à la première personne et nous informe de trois niveaux de réalité : le trésor caché qui correspond au niveau principiel et supérieur de la Nature divine, la raison de la connaissance qui représente le premier dévoilement de la volonté divine et le but de la vie humaine et, enfin, la création du monde qui représente l’objet de la manifestation de l’ordre divin. Nature divine, Volonté du Créateur et Ordonnancement de la création sont synthétisés par cette tradition prophétique et peuvent correspondre à un ternaire médiéval par lequel certains pères de l’Église rattachaient hiérarchiquement l’Esprit de Dieu, l’Amour qui meut la Création, et le miracle de l’Univers.

En utilisant un parallélisme identique, certains maîtres et commentateurs de la Parole d’Allâh dans le Coran et des recueils traditionnels, reconnaissent dans cette tradition un autre ternaire : l’Intention divine, la Parole divine et l’Interprétation divine. Ils nous invitent ainsi à rechercher et à saisir ces trois aspects dans leur ensemble, afin de goûter à la valeur et au sens profond du Message du Miséricordieux.

Il s’agit d’un Message dans lequel le Miséricordieux renouvelle le mystère de de Son trésor, renouvelle Sa volonté d’être connu, et renouvelle la communication avec Sa création. Il s’agit également d’un Message par lequel le Miséricordieux inspire un dévoilement à travers Sa parole. Sa parole se rend mystérieusement et miséricordieusement accessible à la capacité d’intuition et de compréhension du lecteur divin.

C’est la raison pour laquelle, dans la Tradition islamique, les maîtres musulmans enseignent à leurs étudiants d’apprendre à « lire » la Révélation divine ; par « effort de lecture », ils entendent cette alchimie qui consiste à savoir entrer en relation avec un langage divin, avec une langue sacrée qui a conservé la sonorité originelle de la Parole de Dieu. C’est ainsi que les musulmans récitent la Parole de la Révélation en cherchant à prononcer ou plutôt à faire résonner les sons du Seigneur de la Révélation. Une telle méthode de communication est commune, mystérieusement et miséricordieusement, à certaines confessions religieuses seulement : l’hindouisme avec les Védas, le judaïsme avec la Thora, et l’islam avec le Coran, alors que les autres confessions religieuses ont reçu, non moins mystérieusement et miséricordieusement, d’autres méthodes de communication avec la Parole divine. C’est ce qui nous permet de témoigner comment Dieu a utilisé diverses langues sacrées, et divers langages pour rappeler à Sa parole de Vérité les multiples créatures. Les langues et les langages sont mystérieusement et miséricordieusement différents, mais l’origine et l’essence de la Vérité de Dieu est unique. Parallèlement, pour revenir à l’enseignement des maîtres musulmans, le lecteur excellent n’est pas celui qui s’est seulement spécialisé dans la lecture entendue comme technique de mémorisation linguistique et de récitation phonétique, ni l’étudiant qui s’est spécialisé dans les commentaires juridiques et symboliques de la Révélation, ni l’érudit qui s’arrête aux spéculations philosophiques sur la Parole de Dieu. Le seul lecteur excellent est celui qui sait apprendre à « lire » la Parole de Dieu dans le texte sacré, en lui-même et en dehors de lui-même, et qui sait conformer sa propre vie au Message de Vérité inscrit dans la Révélation. Celui-là sera en mesure d’être dans le monde que Dieu a créé, et de savoir y lire les signes de son Seigneur ; il sera en mesure de reconnaître la Connaissance de Dieu, et saura méditer sur le sens le plus profond de sa propre fonction de témoin du mystère et du miracle ; enfin, il sera en mesure d’interpréter, en s’éteignant à lui-même, la permanence qui réside dans le trésor caché qui n’est autre que le Dépôt primordial de la Parole de Dieu.

Dans le chapitre intitulé « La famille de Imran », le verset 64 dit : « Dis : “Ô gens du Livre ! Venez à une parole commune entre nous et vous : nous n’adorons que Dieu ; nous ne lui associons rien ; nul parmi nous ne se donne de Seigneur, en dehors de Dieu.” S’ils se détournent, dites-leur : “Attestez que nous sommes vraiment soumis.” »

Ce verset de la Révélation islamique a inspiré le titre, le travail et le consensus de beaucoup de savants et fidèles musulmans du monde entier depuis plus de cinq ans, donnant naissance au document, à l’initiative et au courant de chercheurs et de fidèles qui se reconnaissent dans cette expression du Coran : Kalimat sawaa, une Parole commune.

Dans ce cas précis, il s’agit du terme kalimat qui signifie Parole en tant qu’elle est inscrite dans la Révélation du Coran afin qu’elle puisse être non seulement lue par les fidèles musulmans, mais également partagée avec les « gens du Livre », les gens du Livre sacré, les gens du Livre de la Parole de Dieu, les frères chrétiens et juifs.

Les circonstances de la Révélation de ce verset sont liées à la visite d’une délégation chrétienne envoyée par l’évêque de Najran que le Prophète Muhammad accueillit dans la ville de Médine, suite à la lettre que l’évêque avait reçue de la part du Messager de l’islam. La délégation chrétienne était composée de soixante hommes chargés de conclure un pacte avec le gouverneur de Médine, en partie mus par la peur de l’éventualité d’un conflit mais aussi poussés par la curiosité de connaître le contenu de cette nouvelle religion. On raconte que lorsque les questions de la délégation portèrent sur la figure de Jésus, le Prophète reporta la réponse à un moment ultérieur, puis, à l’occasion d’une nouvelle rencontre, il récita les Paroles d’Allah qui contiennent l’invitation à converger vers une parole commune, et qui sont précédées par le verset : « En vérité, devant Dieu, Jésus et comme Adam : Il le créa à partir de poussière puis Il dit : “Soit !”, et il fut. »

Il est significatif de noter comment la figure de Jésus représente une réalité en mesure de sceller, il y a quatorze siècles de cela déjà, une convergence spirituelle et fraternelle entre musulmans et chrétiens, une convergence qui sache, pour un moment, aller au-delà des peurs d’un conflit ou de la curiosité doctrinale. Cette convergence spirituelle, grâce à la figure commune de Jésus, inspire aussi le rappel à une filiation unique en la figure d’Adam, à une nature commune dans la poussière constitutive de l’être humain, et à une obéissance commune dans la vitalité de l’ordre divin ou du Verbe divin auquel il suffit de dire « Soit ! » et les choses sont.

Nous sommes donc dans une perspective qui va bien au-delà du dialogue conventionnel entre musulmans et chrétiens, et qui ne se fait pas au détriment des différences théologiques et rituelles respectives et providentielles. Cette perspective n’est pas conditionnée par l’analyse de la poussière ou de la terre d’origine, ou encore de la fonction spécifique de chaque croyant ; elle ne peut encore moins être associée aux interprétations hétérodoxes et sectaires de fatalisme ou de syncrétisme.

De même, il ne s’agit pas non plus d’analyser les spécificités théologiques de la figure de Jésus pour en arriver à des compromis historiques et symboliques douteux, ni de vouloir faire abstraction de la figure de Jésus pour s’imaginer résoudre au rabais des conflits territoriaux ou politiques ; on peut encore moins penser chercher à égaler la figure de Jésus en suivant une approche abstraite, exclusiviste ou selon une passion sentimentale.

En tant que signataire parmi les 138 sages musulmans internationaux et membre contributeur du document « Une parole commune entre nous et vous », j’ai fait partie de la délégation musulmane qui a préparé avec le Saint Siège le premier Forum Catholique-Musulman.

A ce titre, j’ai essayé de représenter le caractère de la Communauté religieuse Islamique (COREIS) en Italie et de l’Institut des Hautes Études Islamiques en France, en souhaitant notamment collaborer avec les sages chrétiens dans la reconnaissance commune de la première venue de Jésus et dans notre attente et préparation communes de son retour avant la fin des temps. La caractéristique de notre réalité est d’être une communauté qui a vocation à réaliser une conformité traditionnelle avec les héritiers des Prophètes à travers une vérification partagée dans la pureté des personnes sensibles à la Sainte Parole de Dieu. Cette vocation peut certainement trouver des correspondances adéquates et précieuses avec les fidèles de chaque communauté religieuse, et peut offrir l’occasion de constituer un réceptacle de gens vertueux « dotés d’un intellect sain ». « En vérité Abraham était une communauté, dévouée à Dieu, de foi pure, et ne faisait pas partie des idolâtres » (XVI, 120).

Une Parole commune pour les chrétiens et les musulmans peut donc être le Logos, l’Intellect Universel, qui peut être représenté symboliquement par le Calame (qalam) par le moyen duquel Dieu écrit Sa Révélation avant même qu’elle puisse être récitée par la lecture des fidèles dans les langues, langages ou formes respectives de communication spirituelle.

Une Parole commune est aussi la science sacrée (‘ilm al-kalam) qui a été transmise par le Tout Puissant comme Unique Auteur du message de Vérité (KalimatAllah, Qawl al-Haqq).

Pour nous, une Parole commune est la matrice des paroles présentes dans les différentes doctrines des gens du Livre ; elle représente la relation entre ahl-al-kitab et umm al-kitab, et permet aux savants juifs, chrétiens et musulmans de reconnaître le principe archétypal de la table gardée auprès du trône du Seigneur. Enfin, une Parole commune est l’amour pour Dieu et son prochain comme le témoigne la présence christique dans nos doctrines respectives.

Assumer l’intégralité de ces correspondances traditionnelles, aspirations spirituelles et responsabilités temporelles, surtout dans l’effort de réorientation intellectuelle de l’Occident contemporain, constitue une fonction que, selon les paroles de l’archevêque de Milan Angelo Scola, « nous ne pouvons nous dispenser d’accomplir ». Pour nous, musulmans, cette fonction répond à l’invitation du Prophète Muhammad à le suivre et à partager avec les gens du Livre la reconnaissance et le témoignage de l’Auteur de cette Parole commune qui est la Vérité Absolue, sans se perdre dans de vaines paroles qu’aucun de nous ne devrait partager.

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