Le Pèlerinage

Abd ar-Rashid Bossa

23-12-2007

Nous avons établi, pour Abraham, l’emplacement de la Maison : « Ne m’associe rien ; purifie Ma Maison pour ceux qui accomplissent les circuits, pour ceux qui s’y tiennent debout, pour ceux qui s’inclinent et se prosternent. Appelle les hommes au Pèlerinage : ils viendront à toi, à pied ou sur une monture élancée. Ils viendront par des chemins encaissés pour témoigner des bienfaits qui leurs ont été accordés ; pour invoquer le Nom de Dieu aux jours fixés, sur la bête des troupeaux qu’Il leur a accordés. Mangez-en et nourrissez–en le pauvre, le malheureux. Qu’ils mettent ensuite fin à leurs interdits ; qu’ils s’acquittent de leurs vœux, qu’ils accomplissent les circuits autour de l’antique Maison.1

Dans ces versets du Coran, Dieu évoque tout d’abord Sayyidnâ Ibrâhîm (‘a-s), notre seigneur Abraham, en introduction du passage consacré à la visite à la Kaaba, à la Maison de Dieu. En effet, selon la Tradition islamique, le temple sacré situé à La Mecque, but géographique et symbolique du pèlerinage des musulmans jusqu’à aujourd’hui, fut édifié par Abraham et son fils Ismaël sur les fondations même de la demeure d’Adam (‘a-s), premier homme et premier prophète, suite à sa chute du Paradis. Cette référence à la demeure d’Adam et Eve, son épouse, non seulement renvoie à l’origine de l’humanité, mais évoque aussi la filiation directe de la tradition islamique avec ce que le Coran appelle dîn qayyim et dîn al-qayyima, la « Tradition immuable », également désignée par l’expression dîn al-fitra, la « Tradition primordiale ». On rapporte enfin que la Kaaba fut restaurée en présence du prophète Muhammad (que les bénédictions et la paix de Dieu soient sur lui), auquel fut alors confié par les quatre principaux chefs de clans arabes, la responsabilité de remettre en place la pierre noire à l’un des angles du Temple ainsi restauré.

Cette pierre était, à l’origine, blanche. Selon certaines traditions, c’est l’Archange Gabriel, Sayyidnâ Jibrîl (‘a-s), qui l’avait donnée à Adam lorsqu’il résidait encore au Paradis. La pierre blanche chuta sur la terre en même temps qu’Adam, et fut pour un temps perdu. Bien plus tard, Ismaël, le fils aîné d’Abraham, retrouva cette pierre paradisiaque qu’il extrait de la montagne Abû Qubays non loin du mont Safâ où elle était tombée. Ismaël la remit à son père qui l’enchâssa dans un des angles de la Kaaba lors de la construction qu’ils étaient tous deux en train d’accomplir. La pierre céleste blanche est depuis devenue noire, souillée par les péchés des hommes qui sont venus au fil des temps, bien avant la révélation coranique, accomplir le pèlerinage.

A l’époque du Prophète, cette pierre dépassait légèrement à l’extérieur de l’angle où elle est enchâssée. De nos jours, pour pouvoir la toucher, il faut glisser sa main bien au fond d’une monture en argent qui la maintient désormais en place, la surface de la pierre ayant été usée par toutes les mains et les lèvres des pèlerins. Il est dit que l’usure complète de la pierre coïncidera avec la fin des temps. On rapporte aussi que le second calife bien-guidé, le compagnon du Prophète (sAws), ‘Umar ibn al-Khattâb, s’adressant une fois à la pierre noire, dit : « Je sais que tu n’es qu’une pierre, qui ne peut faire ni du bien ni du mal. Si je n’avais vu le Prophète t’embrasser, je ne t’aurais point embrassé ». Par ce geste affectueux, le Prophète manifesta le rattachement direct de sa mission prophétique à la Tradition primordiale et immuable, évoquée plus haut. Il nous rappelle, par là, lui qui détruisit les idoles, constructions mentales des hommes matérialisées par des statues qui envahissaient alors le Temple sacré, que la Révélation qu’il transmit n’a pas d’origine humaine, qu’elle n’est pas une construction de son imagination ou de son mental, mais qu’elle a une origine divine céleste, comme cette pierre blanche confiée à Adam par l’Archange Gabriel au Paradis, demeure céleste de l’homme créé « selon la forme de Dieu », avant de s’en voir déchu.

Cette pierre symbolisant le dépôt de confiance, amâna, qui fut confié dès le commencement à Adam, et à travers lui, à tous les hommes, est à présent traversée par des fils d’argent qui empêchent son morcellement. Ces fils représentent la promesse de Dieu faite au Prophète Muhammad de susciter des savants et des saints, pour chaque siècle, jusqu’à la fin des temps. Ils sont suscités et choisis par Dieu parmi les croyants les plus soumis et les plus attentifs spirituellement, afin de guider, à sa suite, la communauté de Muhammad, en préservant l’intégrité du dépôt sacré et en le transmettant dans son intégralité. La Tradition prophétique rapporte que lorsque l’intégrité et la transmission du dépôt sacré ne seront plus assurées, faute de savants et de saints présents au milieu de la communauté de Muhammad, la fin des temps et le Jugement Dernier adviendront. Ce n’est pas Dieu qui retirera Sa Science et Son message du monde, mais ce sont les savants et les saints qui manqueront, et ne pourront plus éclairer les croyants qui, à leur tour, disparaîtront peu à peu de la surface de la terre.

En l’époque actuelle de sécularisation et de dérives idéologiques exclusivistes, nous devons également comprendre par ces versets coraniques introductifs, que le courant spirituel qui prend sa source dans la mission prophétique de celui qui est appelé dans l’islam, khalîl Allâh, « l’ami intime de Dieu », Abraham – considéré comme le fondateur inspiré des trois révélations monothéistes encore vivantes aujourd’hui : judaïsme, christianisme et islam –, prend sa source à l’origine de la création du monde et de l’homme, origine qui tire sa réalité du mystère Divin, de la Volonté de Dieu Lui-même. L’être humain trouve donc, lui aussi, son origine mystérieuse en Dieu qui lui confère Son être et Son esprit. Dieu, bien que n’ayant pas été engendré et n’ayant pas engendré, selon les versets de la sourate du Culte pur et sincère (112), lam yalid wa lam yûlad, quand Il veut qu’une chose soit, Il lui dit : « Sois ! », et elle est, kun fa-yakûn, pour reprendre une expression qui revient à plusieurs reprises dans le Coran. C’est ce qu’Il a voulu en conférant Son être à Adam, qui n’a ni père ni mère humains, en le créant à Son image et à Sa ressemblance.

Le pèlerinage, al-hajj, qui constitue le cinquième pilier de l’Islam, ne représente pas seulement un voyage vers un lointain pays de l’Asie mineure, et il ne consiste pas uniquement en l’observance extérieure de rites multiples à accomplir en des lieux et des temps donnés. Il s’agit avant tout de la mise en œuvre d’une niyya, une intention traditionnelle sincère, un acte d’obéissance volontaire, en se rendant disponible à répondre à la convocation de Dieu et à l’invitation du Prophète. C’est un itinéraire de connaissance qui s’appuie sur la foi, et qui consiste à se référer à cette filiation spirituelle originelle dont nous venons de parler, en suivant les pas du Prophète Muhammad et des prophètes qui sont venus avant lui.

Le pèlerinage, c’est le retour à notre origine. C’est la visite de l’antique maison, al-bayt al-‘atîq, qui est le lieu de toutes les convergences : géographique, symbolique et métaphysique, à l’endroit terrestre où tomba Adam lorsqu’il sortit du Paradis, avec la pierre céleste blanche que Gabriel lui confia. Sur cette terre sacrée, il construisit sa demeure pour s’y établir avec son épouse, y invoquer Dieu et fonder sa famille, son peuple et l’humanité. Là se trouvait le lieu de repos, de désaltération et d’installation d’Agar et son fils Ismaël, l’épouse égyptienne et le fils aîné d’Abraham qui errèrent assoiffés dans le désert. C’est ce lieu que Dieu désigna à Abraham pour y ériger à nouveau Sa Maison, bayt Allâh, à l’emplacement même où s’élevait la tente d’Adam. Destination de pèlerinage pour tous les peuples de la région jusqu’à l’époque de Muhammad, c’est sur cette terre sainte que celui-ci naquit et grandit, et où il reçut dans son cœur vierge, par l’intermédiaire de Gabriel, la descente, nuzûl, de la Parole divine sous la forme du Livre sacré, la révélation coranique. La Kaaba constitue enfin la direction géographique vers laquelle tous les musulmans de la terre se tournent pour accomplir leurs prières rituelles, et où ils doivent se rendrent pour le Hajj, au moins une fois dans leur vie, s’ils en ont la possibilité spirituelle et matérielle.

Cette convergence de différents ordres définit clairement un centre, comme l’indique d’ailleurs précisément le terme hajj en langue arabe, signifiant « voyager vers un but, vers un centre ». La vision du centre ne doit pas être envisagée de manière exclusive déniant cette même fonction centrale à d’autres espaces géographiques symboliques, tels que Jérusalem par exemple, qui revêtent les mêmes caractéristiques qui sont propres à tout lieu d’irruption et de conservation du sacré, dans l’économie spirituelle des civilisations et des traditions différentes. Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que les premiers musulmans, au tout début de la Révélation coranique, s’orientaient vers Jérusalem pour effectuer les prières rituelles. Ce n’est que bien plus tard, lors de l’installation du Prophète et des premiers croyants à Médine, que Dieu instaura, à travers la Révélation, une nouvelle orientation rituelle (qibla) : la « mosquée sacrée » (al-masjid al-harâm) où se dresse la Kaaba à La Mecque. Quoi qu’il en soit, que l’on ne s’y trompe pas, la véritable centralité et le véritable but de l’orientation ne sont autres que Dieu Lui-même, et l’on ne saurait enfermer Dieu en aucun lieu, bien que, comme Il le révèle dans une Tradition sainte (hadîth qudsî) : « Ni Mon ciel ni Ma terre ne Me contiennent, mais le cœur de Mon serviteur fidèle me contient. »

Cette centralité et cette essentialité, tous les pèlerins qui se rendent à La Mecque la ressentent intimement, avant même d’y parvenir, notamment lorsqu’ils doivent formuler en un lieu et à un moment bien précis leur intention d’accomplir le Hajj, juste au moment où ils quittent, pour les hommes, leurs habitudes avec leurs vêtements de tous les jours, pour revêtir l’izâr enserrant la taille jusqu’au genoux, et le ridâ’ recouvrant les épaules, les deux pièces d’étoffes blanches, rectangulaires et sans couture, tel le linceul. Les pèlerines, quant à elles, gardent leurs vêtements traditionnels habituels, sous réserve qu’elles ne doivent voiler ni leur visage, ni leurs mains. C’est ainsi que tous rentrent en état de sacralisation (ihrâm), et commencent à répéter l’antique formule Labbayka Allâhumma Labbayk, qui était déjà prononcée par les pèlerins avant l’avènement de l’Islam : « Me voici à Toi, Ô mon Dieu, me voici ! »

A partir de cet instant, le pèlerin, animé de cette intention claire et ferme, abandonne totalement son libre-arbitre individuel pour accomplir les prescriptions rituelles imposées par Dieu. C’est à ce moment que les lieux doivent être visités, et que les actes rituels doivent être accomplis. Il n’y a alors de place pour rien d’autre. L’espace et le temps sont véritablement concentrés, unifiés par l’intensité de l’engagement rituel du pèlerin qui se sent immédiatement saisi, quand il arrive à La Mecque, à la fois d’une crainte révérencielle et d’une exaltation inexprimables, en prenant conscience de la présence mystérieuse et contraignante de Dieu. C’est pour cette sainte Présence et par Elle qu’il doit partager l’espace avec les autres pèlerins, représentant tous les peuples de la terre qui sont là par millions à devoir accomplir, au même moment, les mêmes obligations, en divers endroits à La Mecque et aux alentours de La Mecque, pendant un nombre compté de jours. Là, le pèlerin prend vraiment conscience, devant cette diversité et cette multitude humaine, de l’universalité de l’Islam, qui n’est pas la religion d’un seul peuple, mais celle de tous les hommes de la terre. Il doit aussi, pour cette Présence divine et par Elle, accepter la réduction du temps au seul présent que Dieu instaure pour Son serviteur lors du Hajj. Le pèlerin est contraint d’à accomplir les actes les plus apparemment ordinaires de la vie, comme se reposer, se nourrir, se déplacer, en les subordonnant aux seuls actes d’adoration à pratiquer : prier, effectuer le Tawâf, se rendre à Minâ, à ‘Arafât, à Muzdalifa, accomplir la lapidation des Jimâr et le sacrifice, et revenir à La Mecque. Ces actes quotidiens, apparemment anodins, qui alternent avec les rites du Hajj, deviennent à leur tour proprement rituels, et perdent alors la banalité que l’on est trop souvent tenté de leur attribuer habituellement dans nos vies. Ils deviennent ainsi, dans la conscience du pèlerin, l’expression évidente de la Miséricorde de Dieu qui lui accorde des pauses et des silences venant de Lui, pour mieux goûter et connaître la science qu’Il veut lui accorder par l’intermédiaire de l’accomplissement de toutes les obligations inhérentes au Hajj.

Effectivement, tout est redimensionné dans la conscience du pèlerin qui goûte, plus qu’il ne comprend, la grande Générosité de Dieu qui rétablit en lui, par Son commandement, le sens de l’ordre et la conscience de l’harmonie. C’est Dieu qui rétablit, par Son commandement, l’intention juste, droite et sincère dans les cœurs, et réordonne hiérarchiquement les actions qui doivent être entreprises tout au long de la vie, en rendant à celles-ci leur caractère rituel oublié. Il apparaît alors clairement au pèlerin que seule la participation à l’action rituelle est capable de le transformer, et de changer sa perception des choses. Cette conscience, le pèlerin la vit intensément, notamment lorsqu’il se rend dans l’enceinte sacrée, al-haram ash-sharîf, où il voit la Kaaba, et surtout lorsqu’il accomplit autour d’elle les sept circumambulations rituelles, tawâf. Tout l’espace se réduit alors à ce cube, traduction du mot arabe ka‘ba, qui signifie aussi le point central, et suggère l’idée de vitalité et de stabilité.

En effet, la Kaaba occupe le centre du Haram ash-Sharîf, de forme circulaire, tandis qu’une multitude de pèlerins tournent autour de ce centre immobile qui semble imprimé cette rotation au territoire sacré tout entier, et à toute la terre avec lui, autour d’un axe invisible, mais nettement perceptible. Comment cette maison immobile, stable, unique et vide en son intérieur, peut-elle générer une telle vitalité, une telle plénitude ? Comment peut-elle attirer à elle une telle multiplicité dans ce mouvement unifié, simultanément centripète et centrifuge, puisque pendant que certains fidèles pénètrent dans l’enceinte pour se diriger vers le centre, vers la Kaaba, d’autres qui ont accompli les sept rotations et la prière près de la « station d’Abraham », maqâm Ibrâhîm, s’en éloignent pour sortir du cercle ? Comment cette maison immobile peut-elle attirer vers elle, et repousser loin d’elle, les adorateurs du Dieu Unique, L’invoquant et L’adorant par cette rotation perpétuelle qui ne s’interrompt qu’au moment des cinq prières canoniques de la journée ? Bien évidemment, un objet ne peut avoir par lui-même ce pouvoir.

Il est rapporté à ce sujet que les fidèles, hommes et femmes mélangés en ce lieu, invoquent et adorent Dieu en communion avec les anges qui tournent eux aussi perpétuellement autour du prototype céleste de la Kaaba, « la Maison fréquentée », al-bayt al-ma‘mûr, qui se situe sous le Trône de Dieu, juste à la verticale de la Kaaba terrestre. La connaissance de cette correspondance et cette continuité entre les différents niveaux de réalité, symbolisés par des notions comme le ciel et la terre, ce monde et l’autre monde, l’ici-bas et l’au-delà, fait partie de l’enseignement qui est donné par la Tradition islamique au croyant tout au long de sa vie. Mais cette conscience profonde devient en ce lieu béni immédiatement perceptible par les cinq sens qui sont mis en relation avec des réalités qui les dépassent. Le pèlerin entend le murmure inexplicablement harmonieux des invocations pourtant différentes de centaines de milliers de fidèles. Il voit dans la multiplicité des individus qui sont là avec lui, la grandeur et la puissance de Dieu qui le met dans une situation où son individualité est annihilée, effacée par cette multitude d’hommes et de femmes qui est en train de faire exactement la même chose, exactement au même moment. Dieu lui fait comprendre par cette vision qu’Il a en même temps une considération particulière pour chacun d’entre les innombrables êtres humains ainsi que pour toutes les créatures, tels ces aigles que l’on peut voir tourner au-dessus de la Kaaba, et qui suivent, eux aussi, exactement le rythme et le sens de la rotation. Le pèlerin voit également, dans l’indéfinissable dimension de la Maison sacrée, dont il ne saurait dire si elle est grande ou petite, la manifestation d’une présence mystérieuse à laquelle il goûte, et qu’il veut rejoindre, tout comme il sent le parfum de musc qu’exhale, en ce lieu, la umma, la communauté des croyants. Il touche ses frères et ses sœurs qui sont serrés contre lui, sans pouvoir décider individuellement de la position de son corps et de ses membres, ni du rythme de ses pas qui l’amène tout d’abord vers la pierre noire, puis l’éloigne vers le Maqâm Ibrâhîm pour y accomplir les deux unités de prière, et enfin l’entraîne vers Safâ et Marwa où s’effectue le sa‘y.

Le rite appelé sa‘y est la course répétée sept fois entre les collines de Safâ et Marwa, non loin de la source de zamzam dont l’eau bénie sourd depuis quatorze siècles tout à côté de la Maison de Dieu. Ce rite fait revivre, à qui les accomplit, l’épisode de l’histoire sacrée qui vit Agar et Ismaël, qu’Abraham avait laissé en ce lieu désertique, les confiant à la Grâce de Dieu. Agar, craignant pour la vie de son fils qui pleurait de soif, cherchait de l’aide invoquant le secours de Dieu. Elle parcourut sept fois la distance séparant les collines de Safâ et Marwa, lieu de passage des caravanes, montant sur l’une et l’autre pour les voir venir. Mais comme personne n’arrivait, elle s’arrêta de courir cédant presque au désespoir quand elle vit soudain une personne humaine qui se tenait à côté d’Ismaël. C’était l’Archange Gabriel, qui fit alors surgir, sous le talon d’Ismaël enfoncé dans le sable, une source impétueuse. Recueillant l’eau qui jaillissait abondamment, Agar s’écria pour la tempérer : zamzam, « Du calme ! Du calme ! »

Les pèlerins doivent se rendre en plusieurs occasions dans la plaine de Minâ, non loin au sud de La Mecque. C’est une station de repos où les membres de la communauté vivent, mangent, dorment, prient, et parlent ensemble, recevant les uns des autres des enseignements au cours des conversations religieuses informelles qui ne manquent pas de se dérouler spontanément sur les banquettes, à l’ombre des tentes d’un campement immense de sept millions de personnes. C’est là que l’on se rend compte que toutes nos paroles et nos demandes sont écoutées, que toutes nos pensées et nos intentions sont sondées, et que tous nos actes trouvent instantanément leurs conséquences.

Minâ constitue une étape sur la route en direction de ‘Arafah, qui est une grande plaine située au sud de Minâ où se trouve, à son angle nord-est, le mont de la Miséricorde (jabal ar-rahma) sur lequel les pèlerins se tiennent debout toute la journée invoquant Dieu jusqu’à la tombée de la nuit, et lui adressant des demandes pour eux-mêmes et pour tous leurs proches. Certaines traditions donnent comme étymologie au nom ‘Arafah ou ‘Arafât : ta‘ârafa, « ils se reconnurent », en référence à Adam et Eve qui en ce lieu se retrouvèrent et se reconnurent, après leur expulsion du Paradis, et après avoir erré pendant quarante ans sur terre l’un à la recherche de l’autre. Le rite de la station à ‘Arafât, wuqûf ‘arafât, est considéré comme le fondement même du Hajj. Le Prophète a dit à ce propos :

Nul jour n’est mieux estimé par Dieu que celui de ‘Arafah. Lorsque vient le soir de ‘Arafah, Dieu descend vers le Ciel de ce monde, et Se vante devant les anges en disant : « Mes serviteurs sont venus à Moi, échevelés, par des chemins difficiles, dans l’espoir de Mon Paradis. » Le Prophète ajoute : « Nul jour ne voit autant d’hommes affranchis de l’Enfer que le jour de ‘Arafât.

Le pèlerin qui arrive à ‘Arafât ne sait s’il a devant ses yeux l’image du premier jour de l’humanité, ou s’il contemple la préfiguration du jour du Jugement dernier. La vision des hommes et des femmes vêtus humblement de blanc qui se tiennent là immobiles, regardant le ciel sur le mont de la Miséricorde, au milieu de cette plaine semi désertique, assène un coup terrible au cœur du croyant qui saisit immédiatement la gravité et l’intensité d’une telle journée. Il n’a plus la notion du temps ni celle de l’espace. Il est submergé par la sensation du regard scrutateur de Dieu qui plonge jusqu’au plus profond de lui, et brise la gangue de l’orgueil de sa suffisance, le contraignant à reconnaître sa totale dépendance et sa pauvreté spirituelle envers Lui. C’est la journée de la solitude. Le croyant et la croyante sont avec tous les autres croyants, mais ils se sentent seuls parmi les hommes. Ils pleurent devant Dieu et implorent Son pardon, ils pleurent et demandent comme jamais ils n’ont pleuré et demandé, nus et sans artifices, devant la Majesté, la Puissance et le Jugement d’Allâh.

Après cette journée de contraction intense vient la dilatation et l’apaisement avec le reflux vers Muzdalifa, qui est une station intermédiaire à mi-chemin entre ‘Arafah et Minâ.

C’est un lieu où l’on prie et où l’on se repose en échangeant des confidences avec ses compagnons les plus proches, à même le sol, sous le ciel étoilé. On ne peut accomplir le pèlerinage seul. On est accompagné par des compagnons que l’on ne connaissait pas avant cela, mais qui deviennent de véritables amis, même s’ils étaient déjà nos frères ou nos sœurs en Dieu. Le jour de ‘Arafah ouvre ainsi le cœur de la plupart des croyants et des croyantes. C’est à Muzdalifa que l’on ramasse ensuite les cailloux qui serviront à lapider les trois stèles de pierre figurant le Diable qui sont érigées à Minâ. Ce rite de la lapidation des trois stèles, ramyal-jimâr, qui doit s’accomplir en trois fois, pendant trois jours différents, symbolise l’acte d’Abraham qui, selon certaines traditions prophétiques, lapida de sept pierres le Diable lorsque ce dernier le tenta à trois reprises en essayant de l’empêcher d’accomplir les rites du pèlerinage. Selon d’autres traditions, un vieillard essaya de détourner Abraham et son fils Ismaël obéissant à l’ordre divin du sacrifice qu’avait reçu Abraham dans un songe. Abraham reconnut en cet homme le Démon, prit un caillou, et le jeta sur lui. Le caillou toucha la tête de l’homme, et l’esprit malin s’échappa du corps qui prit la forme d’un pilier en pierre.

Le rite du sacrifice correspond à la grande fête, ‘îd al-adhâ, qui commémore le sacrifice d’Abraham. Les fidèles accomplissent une prière particulière après laquelle est sacrifié un animal. Mais le sacrifice le plus grand que le musulman doit accomplir, c’est le sacrifice intérieur qui l’amène à la purification de l’âme et à la soumission parfaite à Dieu, dans l’accomplissement, tout comme Abraham, de Sa Volonté, en se remémorant cela sans cesse, à chaque instant de sa vie.

L’état de sacralisation est quitté après avoir accomplis tous les rites et la désacralisation, mais le pèlerin ressort changé : il n’est plus le même homme, la même femme, jeune ou vieux, qui a franchi pour la première fois, peu de temps auparavant, l’enceinte sacrée. L’état de pureté primordiale et de pauvreté spirituelle doit subsister dans son cœur, confirmé et fortifié par les rites accomplis selon la volonté de Dieu, et qu’il va continuer de pratiquer tout le reste de sa vie, en particulier la prière canonique, avec la conscience de leurs significations et de leur importance, qu’il a acquise lors du Hajj. Les actes de la vie quotidienne qu’il considérait trop souvent encore comme banals ont été restaurés dans leur sens profond, et deviennent eux aussi des rites qui lui permettent d’adorer Dieu à chaque instant et dans chaque souffle.


  1. Coran 22 : 26-29.

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