Les musulmans face à la maladie

Abd al-Qouddous Jibril Gouraud

12-04-2006

C’est par cette invocation que chaque musulman et musulmane rythment son existence, en sacrifiant, c’est-à-dire en rendant sacré, chaque instant de sa vie et les actes qu’ils entreprennent dans ce monde. Dans cette perspective, la maladie, qui survient au cours de la vie des hommes et des femmes dans des modalités plus ou moins graves, est considérée par le croyant comme une possibilité particulière de connaissance, à la fois de soi-même, de l’autre, du monde qui nous entoure et surtout de Dieu, car, selon l’islam, chaque chose a une signification spirituelle.

Il faut avant tout rappeler que la maladie, en islam, n’est pas envisagée comme une punition ou une épreuve injuste qui accablerait le croyant ou la croyante mais que la maladie fait partie des conditions de l’existence d’ici-bas et que par celle-ci, l’homme et la femme trouvent une occasion de se rapprocher de Dieu en étant ramener parfois aux choses les plus essentielles, les plus vitales selon le degré de la maladie. Il s’agit de plus d’un temps propice à la méditation, à la prière dans l’attente d’une guérison qui ne dépend pas des seules compétences du médecin ou de l’observance attentive du traitement.

Un hadith (tradition prophétique) dit que Dieu n'a jamais fait descendre un mal sans faire descendre un remède contre lui. [Rapporté par Al-Bukhârî] S’il existe donc un remède à chaque maladie, le musulman doit s’efforcer de se soigner avec la conscience que l’issue de la maladie n’est connue et ne dépend que de Dieu. Le remède évoqué dans cette tradition prophétique est avant tout spirituel car si le corps ou l’âme est malade et peut dans certains cas rester dans cet état indéfiniment, l’esprit quant à lui doit rester confiant dans le décret divin. En effet, le Coran exhorte les croyants à se purifier en gardant la constance dans la prière rituelle. Il en va de même pour la demande de pardon à Dieu aussi bien pour les fautes commises que pour l’oubli de notre réelle nature, qui fait de l’homme avant tout un lieutenant de Dieu sur terre voué à l’adoration et à la connaissance du Très-Haut. « N’est-ce pas au souvenir de Dieu que les cœurs s’apaisent » rapporte le Coran et « Dieu est auprès de l’idée que l’homme se fait de Lui ». Aussi, même malade le croyant doit garder une certaine sobriété, une certaine force spirituelle afin de Louer son Seigneur et ne pas se laisser submergé par les idées qu’il se fait de la maladie, de sa gravité ou de son issue. « Celui qui s’efforce de supporter patiemment (le malheur) Dieu le dotera de patience. Nul ne reçoit plus ample bonheur que la patience » [Rapporté par Boukhari et Mouslim]

L’islam offre à ces fidèles la possibilité de vivre leur foi et leur pratique en tout lieu avec des facilités dans des cas particuliers notamment au cours d’une maladie. Chaque musulman est son propre prêtre et peut exécuter seul tous les rites. Il n’a pas nécessairement besoin d’un lieu pour prier car dès lors qu’il exécute la prière rituelle le lieu devient pour lui une mosquée, c’est-à-dire un lieu de prosternation. Nous avons mentionné l’existence de facilités dans la pratique de la foi musulmane, nous prendrons comme exemple les ablutions qui sont intimement liées à la prière rituelle et qui la précèdent. Elles se font habituellement avec de l’eau, mais peuvent être faites avec une pierre. Les ablutions sont avant tout une purification de l’âme et une préparation à cet entretien avec Dieu que le musulman exécute cinq fois par jour. De même, selon l’état du patient, il n’est pas rare de voir le croyant faire ses prières dans un moment qui lui semble plus facile, raccourcir ces gestes ou ne faire plus qu’un signe de la tête ou même des yeux.

Mais d’une manière générale, quelque soit la maladie et sa gravité, il est important de garder à l’esprit que « Dieu n’impose à chaque homme que ce qu’il peut porter » (Coran II, 286). En effet, les conditions extérieures peuvent être difficiles, pénibles, éprouvantes, mais Dieu rappelle dans le Coran que la facilité vient avec la difficulté et que Sa miséricorde embrasse toute chose. La réalité ne s’arrête pas à la maladie, la difficulté, le remède ou même la guérison. De nombreux saints et prophètes ont été malades et sont morts dans des conditions que certains hommes ou femmes ne pourraient supporter. Le Prophète Muhammad est lui-même décédé avec sur son corps les marques d’une certaine souffrance, néanmoins il est resté digne jusqu’à son dernier souffle et confiant en Dieu. En effet, dans l’état de faiblesse, il s’opère un véritable dépouillement que le croyant doit s’efforcer de maintenir par la suite dans sa vie de tous les jours (même s’il n’est plus malade) en revêtant l’habit par excellence, la crainte révérencielle de Dieu, comme il est appelé dans le Coran. Il ne s’agit pas par là d’une fatalité ou d’une acceptation passive de son destin mais de reconnaître dans celui-ci le Vouloir divin, les bienfaits de Dieu, même si ceux-ci n’apparaissent pas immédiatement ou ne correspondent pas à l’attente que l’on s’était faite. En effet, nul ne sait où, quand et comment il mourra, ni même comment il vivra, et le malade doit être conscient, nous dirions même certain, serein que la réalité qui est en lui et qui l’entoure n’est pas conditionnée par sa capacité à comprendre les choses. Dans ce moment délicat et fragile qu’est la maladie, l’homme ou la femme apprend à connaître son âme et il est dit que celui qui connaît son âme connaît son Seigneur.

Pour ce qui est du rapport du soignant musulman avec les malades, il est important de signaler que les soins prodigués sont avant tout adressés à la personne en tant que créature de Dieu, faite à Son image et à Sa ressemblance quelque soit l’état de dépendance physique ou psychique dans lequel Dieu a mis le patient. Le risque pour le soignant, (qu’il fasse partie du corps médical ou paramédical), est d’associer la guérison à sa propre participation, a ses seules compétences, et d’oublier ainsi que l’on ne saurait conditionné la réalité divine à notre entendement.

Une autre issue possible de la maladie en dehors de la guérison est la mort. Car « c’est Lui qui fait vivre et qui fait mourir, et c’est vers Lui que vous retournerez » mentionne le Saint Coran (Cor X, 56). Pour cette raison, le décès, qui concerne tout être vivant, ne se présente pas comme une fatalité insurmontable et irrationnelle aux yeux des croyants. En Occident, la mort, ou du moins le sens qu’elle y a pris, semble représenter pour certains au contraire un bouleversement et un anéantissement dans une sorte d’inconnu face auquel est vécue une terrible angoisse. L’âme de l’homme moderne ressent un véritable arrachement à ses passions, en se rendant compte que ce à quoi elle attachait de l’importance est destiné à finir. Le croyant soumis à Dieu s’efforce de n’avoir aucun lien qui le retiendrait ici-bas, ni aucune illusion quant à sa vie sur terre. Il s’occupe du monde sans être préoccupé par le monde, en sachant dès le début que toute chose a une fin, et que la mort fait partie intégrante de la vie.

L’abandon confiant à Dieu incite l’homme à dépasser ses craintes, ses illusions, pour se laisser guider par le seul Maître, le Meilleur des pardonneurs (khayr al-ghâfirîn). Par conséquent, la Tradition islamique recommande à l’entourage du mourant musulman de ne pas adopter une attitude exagérée lors de la mort ou à son approche, par des comportements excessifs, comme se lamenter ou se frapper les joues, qui ne correspondraient pas à la soumission, à la simplicité et à la pudeur devant inspirer les actes de tout musulman. Dans ce sens, les hommes et les femmes doivent se soutenir mutuellement pour partager le chagrin, mais surtout pour implorer le pardon de Dieu afin de soulager l’âme du mort, alors que, à l’inverse, le défunt souffre des cris et des lamentations qui sont poussés par les vivants à son attention. Le croyant peut manifester dans les derniers moments de sa vie une satisfaction et une paix intérieures qui se lient sur son visage. Le visage du défunt peut être marqué au contraire par une certaine rigueur qui rappelle que la vie n’est qu’un leurre, et qu’il faut sans cesse se réorienter vers Dieu. La souffrance de l’agonie ne doit pas faire oublier la promesse de Dieu. « Sa miséricorde embrasse toutes choses » La tradition veut que l’attestation de foi soit récitée à l’oreille du nouveau né. Il est souhaitable qu’elle soit aussi la dernière parole prononcée par le mourant juste avant que l’âme ne quitte le corps, car celui qui dit lâ ilâha illâ-Llâh il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu avec sincérité avant de mourir est accueilli par Dieu en Son paradis. Si l’agonie empêche le musulman de répéter cette parole, le simple geste de l’index droit tendu, symbole de la tension spirituelle et témoin de l’Unicité divine, est suffisant.

L’islam met l’accent sur le respect de la sacralité du corps qui a droit à l’égard dû à sa noblesse. En effet, l’enveloppe charnelle, qui est comme le vêtement de notre âme, participe aux différents rites, recevant ainsi des bénédictions divines. Le corps possède donc une fonction spirituelle qui apparaît à travers tous les actes rituels, et plus particulièrement les rites mortuaires. En effet, on procède traditionnellement au lavage du corps du défunt avant son inhumation, suivant le rite de l’ablution majeure (ghusl). Par là, l’homme se sacralise entièrement, en purifiant à la fois son corps et son âme, le temple où vit l’Esprit. Ainsi, le défunt est-il préparé et mis dans un état de prière perpétuelle, d’une consécration permanente et d’une purification intérieure qui symbolisent l’extinction de l’individualité. Se souvenir de sa propre mort incite le croyant à faire preuve d’humilité et de vigilance spirituelles, dans la conscience que Dieu peut le rappeler à tout moment auprès de Lui. On rapporte qu’il faut agir dans ce monde comme si on allait y vivre mille ans, et pour l’Autre monde comme si on allait le rejoindre demain. La mort en elle-même n’est pas à craindre, car seul Dieu est à craindre : « C’est Lui qui donne la vie et qui donne la mort. Et Il est Puissant sur toute chose. » Rien ne peut être précipité ni ralenti « Un terme est fixé à chaque communauté ; lorsque son terme arrive, elle ne peut ni le faire reculer ni l’avancer d’une heure. » (Coran VII, 34) Un homme ou une femme pleinement religieux ne peuvent donc, à vrai dire, jamais être surpris par la mort. Celle-ci est connue, depuis le premier jour où l’on a pris conscience de son état d’humain. La mort d’un parent est également l’occasion pour la famille du défunt ou les proches d’enseigner aux plus jeunes les conditions de la vie d’ici-bas et de l’Au-delà. Ceux-ci devront s’efforcer d’intérioriser cette transmission de connaissance vivante, pour reconnaître la Réalité et y conformer leur existence. Il ne s’agit pas de se préparer psychologiquement à mourir, bien que certains aspects psychiques soient aussi en jeu. Il s’agit plutôt de laisser l’Esprit illuminer et apaiser l’âme agitée par l’ignorance, en gardant foi dans la Parole de Dieu :

Souvenez-vous de Moi, Je Me souviendrai de vous. Remerciez-Moi et ne soyez pas ingrat envers Moi ! Ô les croyants ! Cherchez secours dans la patience et la prière. En vérité, Dieu est avec ceux qui sont patients. Et ne dites pas de ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu qu’ils sont morts. Au contraire ils sont vivants, mais vous n’en avez pas conscience. Nous vous éprouverons très certainement par un peu de peur, de faim et des pertes de biens, d’âmes et de récoltes. Et fais la bonne annonce à ceux qui sont patients, qui disent, quand un malheur les atteint : « En vérité, nous appartenons à Dieu, et à Lui nous retournons. » Ceux-là reçoivent des prières de leur Seigneur. Ceux-là sont les biens guidés.

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