La solidarité et l’éveil de la conscience humaine

S.A.R. le Prince El Hassan Bin Talal de Jordanie

03-08-2020

Ce que nous affrontons en ce moment au niveau mondial, en termes d’impact humain, social et économique, à cause de la pandémie de Covid-19, nous place devant un défi pour vérifier jusqu’à quel point le concept de citoyenneté active est enraciné en chacun de nous. Ce défi constitue en même temps une épreuve pour notre capacité de dépasser nos limites, et d’étendre le concept holistique d’harmonie collective, de solidarité, de coopération et, surtout, de capacité de résilience de l’individu ; autant d’instruments qui servent pour faire interagir les problèmes de notre communauté, de notre pays et de la société humaine avec la nécessité avérée de construire un monde social caractérisé par l’efficience, la participation personnelle et l’interaction avec les autres.

Nous sommes confrontés à une nouvelle guerre mondiale à tous les égards, dans laquelle l’ennemi est une pandémie qui touche 159 pays dans le monde. Aussi devons-nous réfléchir sérieusement à la question de savoir si la véritable épidémie se trouve devant nous ou derrière nous. Parviendrons-nous, dans ce contexte spécifique, à saisir la dimension plus globale et plus large de ce défi, et donc à le relever avec le plus grand sérieux et la plus grande patience, en utilisant les instruments nécessaires permettant de surmonter non seulement cette crise, mais aussi celles à venir, pour en sortir plus forts qu’avant ?

Les réponses à ces questions doivent se fonder sur l’intuition suivant laquelle la responsabilité humaine et morale est la condition d’un engagement fort, main dans la main, pour les temps à venir, afin de rendre visibles et de promouvoir les valeurs fondamentales qui constituent l’essence de notre humanité. Je pense en particulier à la miséricorde, à la compassion, au respect mutuel et au partage. Il est absolument nécessaire de maximiser l’esprit collectif entendu comme un « weness », la pluralité, et de réaffirmer le concept collectif qui s’identifie avec le pronom « nous », c’est-à-dire en plaçant le bien commun au-dessus de l’individualité du « moi ». La seule façon d’aborder cette question est d’entreprendre une véritable action collective qui aille au-delà du simple « souhait » pour affronter directement les répercussions de cette pandémie mondiale, en nous laissant guider par la raison et la sagesse, et en prêtant aide et assistance par tous les moyens et les ressources disponibles, afin de défendre la dignité humaine. Notre solidarité avec les autres, comme la compassion pour les malades et les affligés, doit également naître de notre nature humaine et de notre sens civique, comme l’indique le hadith du Prophète Muhammad :

Les croyants, dans leur amour, leur miséricorde et leur bienveillance les uns avec les autres forment comme un seul corps : quand un de ses éléments est malade, c’est le corps entier qui ressent l’insomnie et la fièvre (rapporté par al-Bukhari et par Muslim).

L’humanité tout entière doit s’unir, coordonner ses efforts, et partager les informations et le savoir pour sortir de cette catastrophe qui nous affecte tous, sans distinguer entre riches et pauvres, entre jeunes et vieux, ni entre ethnies, races et croyances. Nous sommes tous en danger face à cette épidémie qui se répand rapidement et indistinctement et, même si le progrès scientifique et médical avance à grand pas, et se met au service de la société, la seule solution, quelle que soit la crise, commence par la prise de conscience des hommes, par la solidarité, et par la consolidation du principe de sécurité démocratique.

Ces moments étonnamment exceptionnels représentent une opportunité pour être humbles, et reconnaître nos limites en tant qu’êtres humains, ainsi que la nécessité de partager l’effort en vue du bien commun et pour le bénéfice de tous. Par conséquent, il est important de renforcer la coordination entre les différents réseaux et entités, mais aussi de mobiliser toutes nos énergies dans une communication efficace et fonctionnelle, avec le bon comportement et l’engagement maximal, dans le cadre national, qu’il soit public, social ou individuel. Le but est de créer des dynamiques solides d’interaction, et de rétablir la confiance entre le public et les fonctionnaires d’État et les autres services.

Dans le contexte de la gestion de crise, il convient de rappeler que nous devons faire face à une situation caractérisée par l’instabilité en termes d’idées et de vide moral, dont les causes et les raisons doivent être abordées à travers l’interaction la plus étroite possible entre les universités, les centres d’études, les syndicats, les organisations professionnelles et toutes les composantes de la société civile.

Nous devons par ailleurs apprendre de notre prochain, et tirer profit de ses leçons et de ses expériences, tout en reconsidérant ce que nous avons nous-mêmes reçu et acquis, afin de réfléchir davantage sur l’autre. Sachons aussi reconnaître l’importance des efforts déployés en ce moment par les institutions internationales au profit de la préservation de l’identité et de l’engagement au travail collectif. Toutefois, cela ne nous empêche pas de nous demander où nous en sommes avec la fondation d’une banque régionale de reconstruction d’après-guerre, et avec le projet d’une organisation globale de la zakat (l’aumône islamique) et de la solidarité humaine. Dans ce cas, la zakat signifie la contribution et l’offre d’un service humanitaire destiné à tous. Parce que Dieu dit dans le Coran : « Ô Homme ! Toi qui désires ardemment ton Seigneur, tu Le rencontreras ! » (Al-Inshiqâq, 6), nous voyons ainsi le Créateur se rapprocher doucement et aimablement de l’être humain, en lui demandant d’œuvrer sérieusement et de façon responsable, parce que la religion est au service de toute l’humanité.


Chacun de nous est membre du monde humain, dans lequel nous avons des droits et des devoirs qui définissent et déterminent nos constitutions et nos responsabilités, selon le principe de l’égalité. En outre, les racines de la civilisation humaine se définissent à travers la dynamique continue de communication qui anime les relations humaines de manière organique et holistique.

Au cours des deux derniers siècles, les migrations de masse ont généré un grand nombre d’expatriés arabes dans les Amériques, représentant environ la moitié de la population totale du monde arabe et, bien que chaque génération puisse penser qu’elle fait face à un événement sans précédent, l’histoire en fait continue, se répète, et nous enseigne que ce n’est pas vrai. D’un point de vue historique, nous sommes les enfants de l’expérience humaine civilisée, et nous ne sommes pas isolés de nos compagnons, nous sommes bien plutôt étroitement reliés au reste de l’humanité. Nous confondons souvent ce concept de communication lorsque nous nous considérons comme une extension de l’Asie ou de l’Europe ; au même titre, notre propre extension (en termes d’identité) ne se limite pas à l’Orient et à l’Occident, qui peut même être considérée comme une extension de nous-mêmes.

Notre objectif est la recherche de la paix intérieure, en nous-mêmes et entre nous. Cependant, la paix ne signifie pas seulement l’absence de guerre. En d’autres termes, la paix implique aussi un état de renaissance et de lumières. L’exemple de l’Union européenne fondée sur la paix illustre, à cet égard, l’importance d’une approche pacifique.

Nous devons nous demander légitimement : comment nous remettons-nous de nos malheurs ? La réponse ne pourra se présenter à nous qu’en retrouvant un équilibre qui soit le socle d’une réflexion profonde et de la volonté, parce que les idées sont plus importantes que l’argent. Pouvons-nous appliquer ce concept à nos jeunes qui migrent par centaines de milliers vers divers pays ? Comment donner aux jeunes un véritable sens à la vie ? Comment allons-nous relever les trois défis que sont les catastrophes anthropiques (comme les guerres), les catastrophes naturelles (comme la désertification et la sécheresse), et l’urbanisation incontrôlée ? Ce sont déjà là des facteurs suffisants pour réévaluer nos priorités.

Il est donc nécessaire de révolutionner notre façon de penser, en cherchant de nouveaux pôles de la boussole, de nouvelles orientations qui soient en mesure de jeter des passerelles entre participation scientifique et pratique, avec l’éducation, avec notre environnement spatial, humain et géographique, c’est-à-dire les jeunes qui résident à l’extérieur et à l’intérieur du pays. Pour ces derniers, la fusion entre sciences naturelles et sciences humaines constitue une avancée importante dans notre compréhension, dans l’élaboration de connaissances partagées, et dans la promotion de la recherche scientifique et de la pensée scientifique critique. En ce sens, nous devrions reconnaître que la pression morale des jeunes est acceptable dans le contexte du développement intellectuel et du développement de programmes éducatifs et de programmes de prévention sanitaire, avant même les programmes de soin.

Par ailleurs, il est nécessaire de s’investir et de travailler pour rendre nos espaces plus humains, et pour mieux développer les effets du cadre des intentions sublimes de la religion. À partir de là, nous pouvons parler de codes de conduite et de solidarité morale dans les vastes domaines d’intérêt et de grands bénéfices.

Il ne fait aucun doute que les priorités ne peuvent pas être uniquement liées au contexte économique, comme c’est le cas dans certains pays, mais qu’il faut penser attentivement et avoir comme priorité la dignité humaine. Outre la dimension morale de cette crise grave, soignants, patients et citoyens doivent affronter celle-ci comme un examen, une épreuve, et — en même temps — aider à construire des sociétés mieux immunisées, qui résistent aux maladies et aux virus qui pourraient attaquer à l’avenir le monde entier. Il faut aussi travailler pour mieux développer une vision humaine, orientée vers la science et la technologie, qui exige de satisfaire les besoins des pauvres, des exclus sociaux et, au sens large, des classes les plus faibles, en leur apportant services et produits comme une priorité absolue.

Nous ne devons pas non plus oublier l’importance de construire une « immunité psychologique », et d’améliorer l’offre de services de santé mentale, l’appui social pour nous protéger et protéger les autres. L’intégration harmonieuse du corps, de l’esprit et de l’environnement est la clé pour construire une société plus saine et plus sûre.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la communication par voie électronique et de la rencontre virtuelle qui aide à atténuer les effets de cette crise, il est nécessaire de travailler avec tous les moyens technologiques à disposition pour répandre l’espoir, et rappeler l’efficacité de la foi qui maximise et renforce nos convictions et notre humanité, au lieu de propager fausses nouvelles, ragots, discours de propagande et diffamations contre la souffrance et la douleur du prochain.

Les circonstances défavorables exceptionnelles justifient malheureusement la limitation des droits fondamentaux, des libertés constitutionnelles et du principe de souveraineté de l’État de droit, lesquels, même s’ils sont correctement appliqués en temps normal, ne peuvent pas être pleinement garantis lorsqu’on est fondamentalement en situation de danger. Par conséquent, c’est le bien commun qui doit prévaloir, en premier lieu, pour sauvegarder l’intégrité des individus considérés comme membres de la collectivité publique, de sorte que l’on puisse revenir à la sphère de la légitimité et de la normalité, une fois la crise terminée.

J’ai beaucoup d’espoir dans notre capacité de surmonter cette crise, et je crois fermement que notre avenir ne dépend pas seulement de la découverte et du progrès scientifique pour résoudre nos problèmes, mais aussi de la compréhension que le développement scientifique doit être orienté vers le bien et le bien-être de l’humanité, et être le fondement des efforts d’innovation et du développement. Il faut aussi croire à la compétence des personnes et à leurs dons de résilience pour donner corps à notre capacité de résister, de reconstruire et de renouveler, loin de toute divergence qui pourrait nous diviser et affaiblir la cohésion sociale.

Il fallait une forte secousse pour réveiller notre conscience humaine, et pour nous sortir de l’illusion de la domination et de la suprématie, associée au sentiment trompeur de l’exploitation du prochain et du mépris de la morale humaine. C’est là un moment historique où les craintes, les espoirs et les sentiments d’humanité ont uni nos préoccupations, créant ainsi un destin commun. Si l’on prête attention à l’Histoire, on verra clairement que c’est à travers la renaissance et les lumières que nous pouvons éviter de retourner aux méandres de l’anéantissement, comme cela fut le cas pour certaines civilisations anciennes. Et ici je veux redire que l’Histoire est un guide sage pour le changement lorsque l’homme réforme son être en adéquation avec sa situation, sa vie et l’avenir de son humanité.

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