Dignité et responsabilité des citoyens musulmans

IHEI

02-10-2020

Le crime barbare qui a coûté la vie à Samuel Paty, le 16 octobre dernier, illustre de manière tragique les conséquences d’une manipulation de l’islam à des fins personnelles et idéologiques.

Les terroristes qui tuent prétendument pour la cause de l’islam profanent et le nom de Dieu et le caractère sacré de la personne humaine.

L’être humain est l’édification de Dieu, maudit soit celui qui la détruit !, dit le Prophète Muhammad.

L’émotion qui a saisi notre pays est légitime, mais, au-delà de cette émotion, tout doit être fait pour que de tels crimes ne se reproduisent plus. Cela suppose de réfléchir pour préparer l’avenir.

Dans son discours du 2 octobre 2020 sur la lutte contre les séparatismes, le président de la République a présenté les cinq axes d’une stratégie visant à susciter un « réveil républicain » face aux dangers de « l’islamisme radical ». Il a rappelé à cette occasion qu’il ne s’agissait pas « de viser ceux qui veulent croire en l’islam et sont pleinement citoyens de notre République ».

Cependant, certaines de ses déclarations ont pu heurter la sensibilité de nombreux musulmans, en France et ailleurs, lesquels ont perçu la volonté de « bâtir enfin un islam en France qui puisse être un islam des Lumières » comme une atteinte à leur dignité religieuse et civique, avec le risque d’une désacralisation de l’islam.

En effet, si la référence aux « Lumières » renvoie au courant philosophique né au XVIIIe siècle en Europe, qui faisait de la raison humaine le critère absolu de la vérité, de tels propos risquent d’être interprétés de façon négative, comme si l’islam en soi était synonyme d’obscurantisme et d’ignorance.

Comme si, également, le rationalisme allait préserver la société française et les musulmans du terrorisme ; comme si, surtout, les musulmans ne possédaient pas déjà dans leur patrimoine intellectuel, spirituel et culturel toutes les ressources pour vivre intelligemment leur religion en harmonie avec les valeurs républicaines.

L’islam envisage la raison à la lumière de la foi, rattachant chacune à leur source divine, dans le mystère de l’Esprit. Des maîtres musulmans comme Ghazâlî, Ibn ‘Arabî et Rûmî, ou encore l’émir Abd el-Kader et le métaphysicien René Guénon, ont enseigné comment concilier révélation, foi et raison, et comment surtout en dépasser les oppositions relatives, par en haut, dans l’illumination du cœur.

Donner une importance exagérée à la raison, en cherchant à l’émanciper de son principe vital, pourrait favoriser l’émergence d’un « séparatisme » dangereux : la parodie d’un islam coupé de ses racines, une lettre sans esprit, une coquille vide de sens, en proie à toutes les influences néfastes et à tous les courants idéologiques.

L’adoption des paradigmes rationalistes ne saurait représenter la seule issue face à la radicalisation, ni le moyen privilégié de l’adaptation supposée des musulmans à la société française. L’écrasante majorité des musulmans de France vivent leur foi en toute sérénité et dans le respect des lois. Ils témoignent de la compatibilité de leurs principes spirituels et de leur pratique avec les valeurs démocratiques, évitant le littéralisme aveugle, le conservatisme anachronique et le réformisme rationaliste. Être d’honnêtes citoyens français résulte de leur identité spirituelle, et non d’une adaptation passive au milieu social.

Nous saluons le vœu du président Macron qui souhaite

s’engager et soutenir ce qui, dans notre pays, doit nous permettre de faire émerger une meilleure compréhension de l’islam […] pour mieux nous connaître aussi les uns les autres parce que c’est un enjeu pour nous-mêmes.

Mais nous pensons que la connaissance de l’islam, pour qu’elle soit fidèle à son esprit, ne peut se passer de l’apport des intellectuels musulmans, contribuant à « vivifier » la compréhension et la déclinaison de ses principes, dans toute leur universalité, en phase avec notre époque.

Cette orientation traditionnelle guide le travail d’approfondissement et les activités publiques conduits en particulier par l’Institut Français de Civilisation Musulmane (IFCM) à Lyon, et par l’Institut des Hautes Études Islamiques (IHEI), constitué d’intellectuels musulmans, d’origine et de culture françaises pour la plupart, qui témoignent de la complémentarité entre religion et citoyenneté, sans opposition ni confusion. C’est ce qui leur permet de promouvoir avec d’autres la réalité d’un islam universel, spirituel et citoyen, engagé dans le dialogue interreligieux, et respectueux des valeurs et des lois de la République.

Comme les générations antérieures dans d’autres régions du monde, les musulmans de France sont appelés à poursuivre leur cheminement intérieur et à assumer leurs engagements en société, dans les lieux et dans les temps où la Providence les a placés, suivant l’exemple du Prophète Muhammad, « envoyé comme miséricorde pour les mondes »1.

Servitude spirituelle, sagesse de la foi, conscience du sacré et sens des responsabilités, devant Dieu et à l’égard de toutes les créatures : ce sont les traits essentiels du modèle prophétique auquel les musulmans sincères essaient de se conformer.

Ce modèle et cette méthode prophétiques sont un gage de droiture et de fiabilité, mais aussi de fraternité et de solidarité envers tous les êtres humains, quelles que soient leur appartenance ou leur origine ; une valeur ajoutée, au service du développement et de la préservation du bien commun.


  1. Coran 21 : 107.

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