La société-civile et l’éducation aux Droits de l’Homme comme instruments de promotion de la tolérance religieuse

Yahya Pallavicini

26-09-2012

New York, Organisation des Nations Unies

Panel 1

Les bonnes pratiques des gouvernements et de la société civile en matière d’éducation et de formation comme instruments de promotion et comme garantie de la liberté religieuse et du dialogue interreligieux.

La Communauté Religieuse Islamique Italienne

Monsieur le Ministre Giulio Terzi di Sant’Agata, ministre des Affaires étrangères de la République italienne, je vous remercie de l’invitation qui m’a été faite à participer à cet évènement que vous avez promu sur le thème de la liberté religieuse. Votre initiative et votre invitation me confirment combien sont importants et indispensables la reconnaissance et le soutien que les institutions italiennes devraient donner à leurs propres citoyens représentatifs d’une minorité religieuse, qui se sont réunis dans une organisation qui œuvre depuis plus de vingt ans en Italie, et en de nombreuses régions du monde, pour conserver et transmettre les valeurs universelles et l’enseignement doctrinal qui font partie intégrante de notre identité confessionnelle. Si cette reconnaissance et ce soutien venaient à faire défaut, cela nous priverait de l’honneur et de l’occasion de témoigner combien la vie des prophètes ainsi que l’exemple et l’œuvre des intellectuels éclairés, tout comme celle des maîtres spirituels véritables, doivent pouvoir continuer à inspirer les cœurs, les réflexions et les actions des croyants sincères et des citoyens honnêtes qui se distinguent, par là-même, des instrumentalisations et des fondamentalismes intolérants.

Monsieur le Ministre Nasser Judeh, ministre des Affaires étrangère du Royaume de Jordanie, je salue en vous le gouvernement éclairé de la noble famille Hachémite, ayant eu l’honneur, à Rome, de faire la connaissance de Sa Majesté le Roi ‘AbdAllâh II et de la Reine Rania. En 2010, lors d’une précédente Assemblée des Nations Unies, le Roi de Jordanie a promu La semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle (World Interfaith Harmony Week), désormais une importante institution, qui a été adoptée à l’unanimité (Résolution UNGA A/65/PV. 34). Cette initiative a été activement partagée ces deux dernières années en Italie par la COREIS Italienne. À titre d’exemple, je rappelle, à cette occasion, la présentation de l’essai Le message d’un maître soufi (A Sufi Master’s Message) écrit par mon père, le Shaykh Abd al-Wâhid, et publié par la maison d’édition américaine Fons Vitae, ainsi que la rencontre à Milan entre des jeunes juifs, chrétiens et musulmans. En février 2013, toujours en concomitance avec La semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle, nous organisons une journée de séminaire à Paris à l’Assemblée Nationale.

La collaboration entre la COREIS (Communauté Religieuse Islamique) Italienne et quelques-unes des éminentes personnalités du Royaume de Jordanie a été concrétisée bien avant cette occasion, grâce à l’initiative généreuse et l’amitié de Son Altesse Royale le Prince Ghazi bin Muhammad bin Talal avec lequel j’ai partagé Le Message d’Amman en 2005 et Une parole commune entre nous et vous en 2007. Ce dernier document a d’ailleurs inspiré, en 2008, le premier Forum Catholico-Musulman qui s’est tenu au Vatican, et auquel j’ai participé parmi les savants et les théologiens musulmans du monde entier en présence du Pape Benoît XVI.

Les principes exposés dans ces deux documents, élaborés par les soins d’un conseil des sages musulmans du monde entier, dont je m’honore de faire toujours partie, expriment et déclinent la perspective traditionnelle et orthodoxe de la doctrine islamique sur le thème d’aujourd’hui : La liberté religieuse en tant que socle des valeurs et de l’éducation au sein de chaque confession et comme facteur de promotion du dialogue interreligieux et d’actions concrètes afin de favoriser une cohésion sociale respectueuse et pacifique.

Mme la Directrice Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, je suis très heureux de vous transmettre les salutations du Directeur général Abd al ‘Aziz Uthman al Twaijri de l’ISESCO, la plus prestigieuse organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture du monde musulman. L’ISESCO, avec laquelle la COREIS a signé en 1997 un accord bilatéral, a promu l’institution d’un Conseil Supérieur des Musulmans en Occident dont je suis le Président, et qui œuvre justement avec l’intention de sauvegarder l’authenticité du patrimoine religieux et culturel des nouvelles générations de musulmans en Europe, en favorisant une collaboration et un échange interculturel avec la société civile et les institutions.

Je suis encore plus heureux de vous présenter trois exemples de réussite dans le domaine du dialogue interreligieux et de la formation d’une nouvelle classe dirigeante de musulmans en Italie et en France.

  1. Imams et Rabbins pour la Paix. En 2005 à Bruxelles, capitale de l’Union Européenne, une délégation de la COREIS Italienne, dirigée par notre fondateur le Shaykh Abd al-Wâhid Pallavicini, a été invitée à représenter l’islam italien aux côtés des représentants du judaïsme et de l’islam des autres pays. Étaient présents le Rabbin sépharade d’Israël Bakshi Doron et le Ministre des Affaires Religieuses du Royaume du Maroc Ahmad Tawfiq. À la suite de cet évènement, la COREIS a mené une intense collaboration avec l’UCEI (Unione delle Comunità Ebraiche in Italia), l’Union des Communautés Juives d’Italie, et avec l’Assemblée Rabbinique, organisant conjointement une série de rencontres publiques entre imams et rabbins dans de nombreuses villes italiennes. En 2009, la FFEU (Foundation for Ethnic Understanding), la Fondation pour la Compréhension Ethnique, a invité la COREIS à s’associer au programme international, initié aux Etats-Unis, de jumelage entre des synagogues et des mosquées. En 2010 nous participions à la plateforme commune des dirigeants religieux juifs et musulmans en Europe, constituée à Paris en collaboration avec l’EJC (European Jewish Congress), le Congrès Juif Européen. La même année, le Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, a remis aux jeunes musulmans de la COREIS et aux jeunes juifs de l’UGEI une plaque commémorant en son nom le succès du projet tourné vers le monde scolaire « Les jeunes et le futur ». Parallèlement, le projet interculturel consacré à la promotion de la certification religieuse casher et halal des produits alimentaires — et destiné à favoriser le respect de l’intégration mais aussi les processus d’internationalisation des entreprises italiennes — est dans une phase avancée de réalisation grâce à l’accord interinstitutionnel soutenu par le Ministre Franco Fratini et signé par le Ministre des Affaires Étrangères italien en 2010 (cf. www.halalitalia.org).
  2. Caritas in Veritate. En 2009, le Président de la Commission Européenne José Manuel Barroso m’a introduit, en tant que Vice-président de la COREIS, parmi les dirigeants religieux d’Europe invités à participer à la réunion sur le thème du rôle de l’éthique dans la gouvernance de la crise économique et financière. A l’issue de cette rencontre s’est constitué un nouveau groupe de travail au sein de la COREIS qui a produit un commentaire du troisième chapitre : « Fraternité, développement économique et société-civile » de l’encyclique du Pape Benoît XVI « Caritas in Veritate ». Le travail, la finance et le commerce, les relations internationales peuvent devenir des instruments de réussite et d’ouverture interculturelle, si les communautés et les personnes savent retrouver les valeurs traditionnelles telles que la solidarité, le principe de subsidiarité et la durabilité, tout en évitant les individualismes et les virtualismes. La COREIS et l’Union Chrétienne des Entrepreneurs et des Dirigeants (UCID) ont promu avec succès les deux éditions d’un séminaire de rencontres thématiques entre des personnalités représentatives et ouvertes au dialogue, issues du monde institutionnel, entrepreneurial et de l’économie, avec l’intention de former une nouvelle classe dirigeante, en Italie et à l’étranger, qui soit en mesure de développer les rapports entre les deux rives de la Méditerranée, entre l’Europe et le Moyen-Orient, dans le respect des valeurs universelles et de la complémentarité entre foi et science, entre tradition et progrès et, enfin, entre prière et travail conformément à la règle de Saint Benoît : « Ora et labora ».
  3. Collaboration intra-religieuse. « Les différences dans ma communauté sont une miséricorde » (tradition du Prophète Muhammad). La majorité des fidèles de confession musulmane en Italie est aujourd’hui constituée d’une première génération d’immigrés qui proviennent de diverses régions d’Afrique et d’Asie. Avant même cette immigration toute récente, la COREIS a agi afin de prévenir les risques de ghettoïsation de caractère nationaliste et les radicalismes idéologiques, en coordonnant un réseau de diverses communautés de musulmans qui ont su reconnaître, dans notre témoignage public, les signes d’une nécessité d’adaptation traditionnelle aux temps et au contexte de la société occidentale contemporaine. Sans artifices « orientalisants » et sans « révolutions » juridiques, une première organisation de citoyens italiens musulmans collabore avec des frères et des sœurs d’origine marocaine, sénégalaise, pakistanaise, tunisienne, bosniaque, égyptienne, turque, bengalaise pour former une nouvelle génération de référents religieux qui sachent satisfaire à l’exigence de remédier aux carences cultuelles et culturelles de l’islam italien. En France, nous avons participé, à la demande de l’État, à la conception et à la mise en place d’une formation spécifique pour les imams et pour les fonctionnaires, à travers un partenariat avec l’Institut des Hautes Études Islamiques, l’Institut Français de Civilisation Musulmane de la Grande Mosquée de Lyon, l’Université Lyon III et l’Université Catholique de Lyon. Cette formation veut contribuer à une meilleure connaissance de la diversité, et en particulier de la culture musulmane, par les agents de la fonction publique et les acteurs sociétaux intéressés, et à la connaissance indispensable des lois de la République et du contexte sociétal français par les cadres religieux et associatifs musulmans. L’originalité de ce projet est d’aborder ces deux besoins de façon articulée et coordonnée, et de jouer sur les mutualisations et les complémentarités. Il réunit le monde universitaire et les représentants des communautés concernées. Il entend concourir à la consolidation d’un islam de France, respectueux des lois de la République et bien intégré dans la société française.

La Constitution italienne prévoit pour chaque confession religieuse, sans exceptions ni discriminations, le droit d’exercer et d’organiser son culte tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Beaucoup de confessions religieuses (catholiques, protestants et orthodoxes, juifs, bouddhistes et hindouistes) ont déjà obtenu ou sont sur le point d’obtenir la reconnaissance ainsi que la mise en place de la réglementation adéquate afin de leur permettre pleinement de pratiquer leur foi dans la dignité. Néanmoins, la confession islamique en Italie ne bénéficie toujours pas de cette reconnaissance. Pour atteindre cet objectif, la COREIS a travaillé, d’une part, à une meilleure préparation des institutions et, de l’autre, à la réalisation d’une plus grande maturité de la communauté musulmane en Italie, empêchant de cette manière les interférences et mauvaises intentions de certains agitateurs populaires qui, au nom de l’islam, prétendent imposer à tous une interprétation exclusiviste et formaliste et, parallèlement, celles de certains politiques italiens qui prétendent imposer aux musulmans une sécularisation rationaliste ou, comme alternative, une aliénation sociale sous le prétexte que l’islam est étranger à la sacralité nationale.

En tant que représentant de la seconde génération de musulmans italiens, je peux témoigner combien le modèle universel et intemporel des prophètes Abraham, Moïse, Jésus et Muhammad, ainsi que l’exemple et l’œuvre des intellectuels et maître véritables comme Maïmonide, Saint François d’Assise et Saint Bernard de Clairvaux, Averroès et Avicenne, Al-Farabi et Al-Ghazali, Ibn Arabi et Jalaludin Rumi continuent à nous inspirer dans l’accomplissement de nos responsabilités et à inspirer la vie de milliers de croyants musulmans en Italie.

Nous espérons que cette représentation, de par sa sensibilité œcuménique, pourra rapidement être reconnue au moins comme faisant partie du patrimoine national italien, au niveau historique, juridique et culturel, sans être conditionnée par une diplomatie dépendante des crises internationales ou en la confondant avec les intérêts du commerce extérieur. Seule cette reconnaissance permettra également aux musulmans en Italie et en Europe de donner une contribution spirituelle et fraternelle à des relations fécondes entre tous les peuples et les cultures, de toutes les religions et de toutes origines territoriales. Nous nous souviendrons ensemble que la terre est nécessairement reliée au ciel et que, comme on peut le lire dans l’Hamlet de Shakespeare, « il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve votre philosophie ». En réalité, toutes les créatures doivent honorer d’une manière naturelle le Seigneur des mondes, le Miséricordieux dans la transcendance, le Miséricordieux dans l’immanence.

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