Fraternité, développement économique et société civile

IHEI

28-06-2009

Alors qu’en France se manifeste un intérêt sans cesse croissant à l’égard de l’économie islamique de la part des autorités politiques, des organismes bancaires, du monde universitaire, et d’importants médias, il est intéressant de constater à quel point la dernière encyclique « Caritas in Veritate » du Pape Benoît XVI rappelle certains principes fondamentaux de l’Islam en matière d’économie. Le Souverain Pontife y souligne ainsi qu’il est impossible de fonder une société du bien-être sur les seules lois du marché, en-dehors de toute « transcendance » et de toute perspective « métaphysique » et religieuse, et qu’il est nécessaire de fournir un cadre éthique à l’économie. Le troisième chapitre de cette encyclique, intitulé « Fraternité, Développement Économique et Société Civile », rappelle encore la dignité humaine, sa dimension de foi et de connaissance, qui permet de dépasser les limites d’une « vision seulement productiviste et utilitariste de l’existence ».

L’I.H.E.I.(Institut des Hautes Études Islamiques) se joint à la Commission Finance Islamique et au Comité Éthique Halal Italia de son association sœur en Italie, la CO.RE.IS.(Communauté Religieuse Islamique) Italienne, pour reconnaître que ces rappels sont tout à fait d’actualité, en particulier devant certains aspects et causes de la crise mondiale actuelle.

L’interdit islamique de l’usure, ribâ, par exemple, est un principe qui fait partie intégrante de l’identité occidentale elle-même, depuis la philosophie grecque de Platon et d’Aristote jusqu’aux pères de l’Eglise. Le dicton médiéval pecunia non parit pecuniam (« l’argent ne produit pas d’argent ») suppose que la monnaie et le capital ne peuvent constituer une valeur en soi qui ne tiendrait pas compte des finalités, des actions et des réalités qui sous-tendent leur usage : celui qui prête de l’argent doit être conscient de l’usage qui en est fait, et être partie prenante dans les résultats de l’entreprise, tant dans les profits que dans les éventuelles pertes, dans la mesure où tout type de gain doit être lié à une forme réelle de travail et à des rapports de collaboration et de confiance réciproques entre les hommes.

La délocalisation des activités productives — affirme le Pape — peut atténuer chez l’entrepreneur le sens de sa responsabilité à l’égard des porteurs d’intérêts, tels que les travailleurs, les fournisseurs, les consommateurs, le milieu naturel et la société environnante » : l’interdit de l’usure et l’obligation, en Islam, de fonder le marché sur la collaboration mutuelle plutôt que sur la libre concurrence pourraient alors servir de modèle pour empêcher la création des phénomènes actuels de spéculation « délocalisée » et la perte progressive d’une réelle responsabilité d’entreprise.

On retrouve dans les considérations du Pape un autre écho aux principes islamiques comme la dîme obligatoire, zakâh et l’aumône individuelle, sadaqah, dont le but est de vivifier l’économie grâce à cette capacité de donner qu’ont les individus.Toutefois, il est indispensable de souligner qu’il ne s’agit pas de « retourner en arrière » vers des restaurations aussi anachroniques qu’idéales. Au contraire, dans la lignée du rappel de Benoît XVI, le véritable défi est d’apprendre concrètement à considérer la contribution réelle qu’une sensibilité religieuse peut offrir, y compris dans des domaines comme l’économie. En effet, depuis plusieurs siècles, on a voulu oublier en Occident ces principes d’économie qui sont pourtant présents dans les religions, mais qui ont fini par être considérés comme l’héritage d’une pensée archaïque.Cependant, au lieu d’essayer de « plaquer » certaines parties de la sharî‘ah sur le système économique actuel, il serait sans doute plus judicieux de demander aux législateurs de considérer attentivement la contribution des économistes, techniciens et sages de l’Islam à une vision plus large des problèmes liés au processus de mondialisation et de sa Gouvernance. Il ne s’agit donc pas d’intégrer des règles islamiques dans un monde qui ne pourra jamais être musulman dans sa totalité, mais de pouvoir bénéficier des connaissances et de la sagesse que peut apporter la vision islamique de l’économie.

Tout cela est du reste en plein accord avec la demande consensuelle de changer les règles qui ont modelé le système économique mondial actuel. Un changement réclamé aujourd’hui dans tous les pays, et évoqué notamment par la voix du Président des États-Unis, Barack Obama, ou, en France, par le Ministre de l’Économie Christine Lagarde, qui a maintes fois fait remarquer la nécessité de rénover les règles pour donner un nouveau visage au système économique et même très récemment, par le Premier Ministre, François Fillon, lorsqu’il a commenté positivement l’encyclique « Caritas in Veritate », à l’occasion de sa rencontre samedi dernier avec le Pape. C’est ainsi que, en France, pays par excellence de la laïcité, le Parlement a adopté un projet de loi autorisant l’émission d’obligations islamiques, sukûk, probablement dès 2010, comme peuvent le laisser penser les récentes déclarations du Directeur de Cabinet du Ministre de l’Économie, et celles du Gouverneur de la Banque de France et ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne, Christian Noyer, à l’occasion de la Conférence Euromoney sur la finance islamique qui s’est tenue les 29 et 30 septembre à Paris. Par ailleurs, le Crédit Agricole vient d’annoncer le lancement de trois produits financiers compatibles avec l’éthique musulmane, tandis que l’une des dix meilleures universités dans le monde, l’Université Paris Dauphine, lance son Master 2 en économie sur les principes et pratiques de la finance islamique.

L’I.H.E.I. (Institut des Hautes Études Islamiques), organisation indépendante dont les membres sont des musulmans d’origine européenne, se réjouit de ces nouvelles perspectives et avancées significatives. Lorsque l’on se situe en-dehors de toute mystification fondamentaliste, l’Islam peut effectivement offrir quelque chose de plus, une vision qui n’est pas seulement « morale », mais qui repose sur des principes d’équité et de recherche du bien commun, qui dépasse le simple plan matériel.Cependant, sans une intention droite et sincère, mais aussi des interlocuteurs qualifiés, le modèle islamique lui-même risque d’être instrumentalisé et de devenir contre-productif. En effet, la prétention de quelques mouvements radicaux à restaurer un prétendu « néo-califat » est des plus éloignées de la véritable orthodoxie musulmane, qui se fonde sur l’acceptation de la réalité comme manifestation de la Volonté divine et sur l’intelligence, tout en sachant adapter l’application des principes spirituels éternels aux différentes époques et situations qui changent en permanence.

L’intention de créer des synergies entre éthique, politique, économie, finance, commerce et valeurs universelles, naturellement présentes dans les trois grandes religions du monothéisme abrahamique — judaïsme, christianisme et islam —, représente en réalité le tournant d’un parcours que nous avons déjà initié conjointement avec la CO.RE.IS. Italienne dans le cadre d’une coopération euro-méditerranéenne, fraternelle et professionnelle, il y a quelques années de cela.

La collaboration entre la CO.RE.IS. italienne et le Ministre de l’Intérieur Giuliano Amato au sein de la Consulta per l’Islam Italiano avait déjà conduit à la rédaction de la Charte des Valeurs de la Citoyenneté et de l’Intégration. Après de nombreuses expériences internationales, comme la participation au World Economic Forum (en 2006 à Genève et en 2008 à Davos et à Sharm el-Sheykh), le Président de l’I.H.E.I. et Directeur du Comité Éthique de Halal Italia, l’Imam Yahya Pallavicini, a été invité par le Président de la Commission Européenne, Jose Manuel Barroso, à participer à la réunion des Leaders Religieux Européens à Bruxelles sur le thème « La crise économique et financière : contributions éthiques pour la gestion économique européenne et globale ». Suite à ces différentes collaborations, l’I.H.E.I. et la CO.RE.IS. Italienne ont mis en place une Commission Scientifique sur la Finance Islamique qui réunit des musulmans français et italiens, experts dans les domaines de l’économie et du commerce. L’objectif de cette Commission, qui est composée de chercheurs universitaires et de personnels d’organismes publics et privés, est d’étudier et de développer des produits financiers à valeur éthique pour le marché européen et pour le grand public musulman, en favorisant ainsi le dialogue et les relations entre les civilisations de la Méditerranée. À cette fin, la CO.RE.IS. Italienne a créé la marque déposée Halal Italia — organisme de certification de produits halal qui jouit d’un comité éthique d’experts musulmans occidentaux.

Selon nous, l’économie peut représenter un terrain privilégié d’échange et de coopération entre les peuples, et entre les guides spirituels et les autorités gouvernantes mondiales. Nous, musulmans français, européens, sommes conscients du fait que l’humanité d’aujourd’hui demande une nouvelle approche pour affronter les défis d’un monde de plus en plus globalisé et impersonnel, et nous nous joignons pleinement au rappel du Pape visant à ne pas subir passivement le phénomène de la mondialisation, pour honorer au contraire nos responsabilités même là où l’impersonnalité des marchés donnerait l’illusion que l’on puisse se passer de la sincérité des intentions.

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